Nicolas Vatimbella, consul à Chypre lors de la Première guerre mondiale

Nicolas Vatimbella (grand-père d’Alexandre Vatimbella) fut nommé en juillet 1917, consul de Grèce à Chypre par le gouvernement Venizélos. Ce dernier souhaitait la réunification entre l’île, alors colonie britannique (1878-1960) avec la Grèce, ce qui découlait de l’«Enosis» (Union), la «Grande idée» de la politique grecque d’alors qui était de rattacher au pays toutes les territoires où les Grecs étaient majoritaires.

L’Enosis est souvent un terme utilisé plus spécifiquement pour cette volonté d’unir Chypre à la Grèce.

Nicolas Vatimbella convenait totalement pour ce poste très politique lui qui était, à la fois, un nationaliste convaincu – il a milité toute sa vie pour que la communauté grecque d’Alexandrie se hellénise le plus possible écrivant même un ouvrage sur le sujet – et un partisan de Eleftherios Venizélos, donc d’une république grecque alors que le pays état un royaume.

Son passage à Chypre fut donc un combat politique plus qu’une représentation diplomatique. Et s’il irrita grandement les Britanniques comme on le verra dans le texte ci-dessous, il remplit exactement sa mission puisque le gouvernement de Venizélos lui proposa de devenir ambassadeur aux Etats-Unis, ce qu’il refusa pour retourner exercer son métier d’avocat à Alexandrie.

 

- Une anecdote afin de bien faire comprendre l’importance pour les Grecs de l’union entre la Grèce et Chypre.
Le parrain d’Alexandre Vatimbella, Polys Modinos – qui travailla au cabinet de Nicolas Vatimbella à Alexandrie comme avocat puis fut le secrétaire général adjoint (plus haut poste administratif) du Conseil de l’Europe – devint ambassadeur de Chypre à Paris et auprès du Vatican alors qu’il était grec.
Aristide Pilavacchi, le père de Nicolas, mari de la cousine germaine d’Alexandre Vatimbella, Sophia née Stathatos, fut, dans le même temps, ambassadeur de Grèce à Paris alors qu’il était chypriote!
Car, tout Grec bénéficie automatiquement de la nationalité chypriote et tout Chypriote bénéficie, de même, automatiquement la nationalité grecque.
Et chaque fois que l’un ou l’autre des ambassadeurs rencontrait Jacques Chirac, alors premier ministre français, ce dernier leur demandait comment cela était possible!

 

- Extraits du livre d’Andrekos Varnava, British Cyprus and the Long Great War 1914-1925), publié en 2019 (Edition Taylor & Francis)

(…) Les membres musulmans ont réagi avec colère à l'Enosis, affirmant qu'il s'agissait simplement d'une demande émanant d'une partie de la population «d'origine indéterminée». La destitution de Constantin avait encore aigri la majorité des factions pro-Constantin et la minorité pro-Venizélos, et le nouveau consul Vatimbella, un grand avocat d'Alexandrie qui avait également reçu le mémoire, avait été chargé de rapprocher les deux factions. Clauson [John Clauson, haut-commissaire britannique à Chypre de 1915 à 1918] affirme que Vatimbella «ne semble pas très apprécié par les dirigeants locaux qui restent principalement constantiniens», alors qu'il ne semble pas non plus les apprécier beaucoup :
«Ses critiques sur les manières et les coutumes des classes supérieures chypriotes grecques et sur les visages et les silhouettes des dames de l'île d'Aphrodite. Il disait qu'il n'y avait pas grand-chose de grec chez elles et qu'elles étaient en grande partie phéniciennes».
(...)
Malgré les préoccupations évidentes des membres élus musulmans chypriotes, l'agitation grecque en faveur de l'Enosis se poursuit, et Vatimbella suit les traces de son prédécesseur en y contribuant. Le 2 octobre 1917, Clauson se plaint à Long [Walter Long, ministre britannique des Colonies de 1916 à 1919] que Vatimbella ne vaut pas mieux que Paraskevopoulos parce qu'il a prononcé un discours pro-Enosis au Te-Deum pour célébrer le nom du roi Alexandre, le second fils de l'ancien roi, qui a remplacé son père. (...)
Le discours de Vatimbella était extraordinaire car il faisait des Chypriotes des Grecs et ignorait les Britanniques, les Chypriotes musulmans et la majorité de la population chrétienne qui ne s'identifiait pas aux Grecs. Il a fait référence au danger que courait la «patrie grecque», aux «soupirs et aux gémissements de la Macédoine, de la Thrace et de l'Asie mineure», et a appelé tout le monde à «regarder avec fierté et émotion notre drapeau bleu et blanc et à réfléchir aux honneurs qui nous attendent si nous menons la bonne et honorable lutte» aux côtés des «promoteurs de l'hellénisme», de la «puissante et libérale Angleterre».
«Grecs de Chypre ! Que ce jour soit le début de nouvelles pensées et de nouvelles décisions. Unissons-nous et donnons-nous la main de l'amitié, la main de l'amour et de la concorde. Rassemblons-nous autour de notre gouvernement et de notre gouverneur grec (c'est-à-dire le Premier ministre Venizélos)».
(...)
Vatimbella est en conflit avec Clauson et, plus généralement, avec les autorités chypriotes. Le 20 février 1918, Clauson informe Long que Vatimbella s'est plaint à Politis, en décembre 1917, des propos tenus à son égard par un fonctionnaire chypriote. Clauson décrit ce fonctionnaire, T.J. Greenwod, temporairement commissaire de district de Larnaca, prévôt et censeur du câble, comme un "officier de police digne de confiance". Selon le récit de Greenwood, un Vatimbella agité lui rendit visite et lui demanda pourquoi le gouvernement chypriote ne mettait pas fin au langage anti-vénizéliste d'un journal local, en particulier les écrits de Zannetos. Après un échange houleux, Greenwood a répondu qu'il ne pensait pas que cet exemple précis justifiait une censure et que le journal était surveillé de près. A une autre occasion, Vatimbella a demandé si les télégrammes que la presse athénienne lui adressait étaient censurés, ce à quoi Greenwood a répondu qu'il ne pouvait pas révéler cette information, ce qui a contrarié Vatimbella. Clauson précise qu'aucun "Anglais à Chypre n'a rien d'autre que la plus forte objection au langage anti-vénizéliste utilisé par le Dr Zannetos", mais qu'il n'y a aucune raison de le poursuivre ou de poursuivre qui que ce soit d'autre, surtout à la lumière de l'échec des poursuites engagées contre Zannetos au début de 1917 pour des déclarations selon lesquelles les Chypriotes approuvaient l'attaque contre les troupes britanniques à Athènes. Clauson estimait que les articles anti-vénizélistes avaient été relayés par des articles pro-vénizélistes dans d'autres journaux, qu'en général Zannetos avait essuyé de nombreuses critiques et avait modéré ses commentaires, tandis qu'un autre journal contrôlé par un autre sujet grec, Nicholas Katalanos, à Nicosie, avait été suspendu pour 6 mois. M. Clauson a affirmé que les actions de M. Vatimbella n'étaient pas différentes de celles de ses prédécesseurs en ce qu'elles ne faisaient pas la distinction entre les sujets grecs et les sujets britanniques,
"espère que les agents du consulat grec poursuivront leur pratique consistant à prendre part à des procédures au cours desquelles le nom de Sa Majesté le Roi des Hellènes et le drapeau et l'hymne nationaux grecs sont utilisés de manière à détourner et à obscurcir l'allégeance légitime des sujets britanniques.
Le lendemain, Clauson, se référant à des lettres censurées entre Vatimbella et des Chypriotes de premier plan, ainsi qu'à la correspondance entre Vatimbella et Clauson, montre que Vatimbella est "activement engagé dans des activités politiques parmi les sujets chypriotes britanniques, tout comme les autorités grecques supérieures, depuis au moins l'agent diplomatique en Égypte (Antonios Saktouris) jusqu'au bas de l'échelle". Vatimbella et Saktouris poursuivaient activement l'enosis, aidés par les évêques Meletius et Kyrillos, qui déclara à Koumides, le président de la Fraternité chypriote en Égypte, qu'il espérait que Vatimbella pourrait unir les royalistes et les vénizélistes derrière l'enosis.
La lettre de Vatimbella à Clauson du 25 novembre, dans laquelle il lui demande de forger une alliance de travail avec la "majorité grecque" de l'île pour gagner la guerre, en autorisant le recrutement de Chypriotes grecs dans les forces armées grecques, en est une autre preuve. Clauson dédaigne l'affirmation de Vatimbella selon laquelle des milliers de personnes se présenteraient, rappelant à Long que l'idée a déjà été rejetée. De plus, il n'obligera pas les sujets grecs munis de papiers de service à s'enrôler: les efforts du consulat grec pendant la guerre ont été un véritable fiasco, un seul réserviste s'étant enrôlé. La principale préoccupation de Clauson est que Vatimbella souffre de la folie des grandeurs, assumant encore plus de fonctions qui ne relèvent pas de son autorité, et signant même ses lettres "Consul Général". Il était temps de mettre un terme à ce comportement et de faire comprendre aux Chypriotes grecs que leur seul roi était le souverain britannique. Long approuve les actions de Clauson et fait informer Balfour que Vatimbella a mal interprété les commentaires de Greewood selon lesquels Athènes devrait avertir le consul de se limiter à ses fonctions consulaires. Granville discute de Vatimbella avec Venizelos le 9 janvier 1918 et Venizelos soutient que les Chypriotes grecs sont au nombre de 240 000 et les musulmans de 45 000 (ce qui est totalement faux), qu'il n'a rien fait pour les encourager et qu'il ne fera rien pour les décourager. Le bureau colonial souhaitait une manifestation à Athènes en vue de faire rappeler Vatimbella s'il continuait ses activités.
(...)
En décembre 1917, le mouvement pro-Enosis s'est finalement uni, au grand dam de Clauson. Le télégramme de Clauson à Long du 14 décembre indique qu'une réunion panchypriote, présidée par Kyrillos, a adopté une résolution sympathisant avec la cause alliée, soutenant l'Enosis, et que les Chypriotes sont prêts à contribuer sous le drapeau grec à la lutte pour la liberté et la cause grecque.
(...)
Vatimbella exprima, dans des communications privées, interceptées par la censure postale, son appréciation de la bonne nouvelle de cette "nouvelle manifestation des sentiments du peuple de Chypre".
(...)

 

- Après avoir servi à Chypre, Vénizelos proposa à Nicolas Vatimbella de devenir ambassadeur de Grèce aux Etats-Unis.
Nicolas Vatimbella déclina poliment l'offre auprès du ministres des Affaires étrangères grec, Nikolaos Politis.

 


 

 




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