mardi 16 avril 2024

C’est si fatigant d’être libre?

Être libre c’est un droit naturel mais ce n’est pas une condition naturelle.

Ainsi, nous pouvons tous, avec raison, réclamer notre liberté mais celle-ci ne nous est pas donnée automatiquement.

Pour preuve, les régimes autocratiques et totalitaires qui peuplent la planète depuis toujours, depuis que les humains se sont constitués en sociétés structurées.

Auparavant, cette liberté n’était pas non plus donnée et la loi du plus fort était la règle.

Dès lors, pour être libre, nous devons nous organiser, c’est-à-dire créer les modalités pour que la liberté soit la règle des communautés dans lesquelles nous vivons.

Et l’on comprend bien que la loi du plus fort est une constante menace face à la loi de l’égalité entre tous qui est la base de la liberté pour tous.

Imposer sa force est, de plus beaucoup plus facile, que d’imposer le respect de la dignité de tous sur un pied d’égalité.

Or donc un régime autoritaire ou totalitaire est plus «solide» qu’un régime démocratique qui est «fragile» parce qu’il interdit aux individus d’exprimer sa liberté et, surtout, de la mettre en pratique, donc de devoir gérer une société de la diversité et de la différence.

Car, pour que la liberté existe, il faut qu’elle soit, non seulement, défendue mais, en plus, par une majorité des membres d’une communauté.

Mais être libre nécessite de se battre contre tous les ennemis de la liberté ainsi que contre tous nos comportements qui fragilisent cette condition.

Or, que voit-on dans les démocraties républicaines de ce troisième millénaire?

Un renoncement à défendre la liberté parce que cela impose des devoirs alors que la plupart d’entre nous ne parlent que de droits et refusent la responsabilité qui va nécessairement avec la condition d’être libre.

Beaucoup, d’ailleurs, estiment qu’être libre est plus fatiguant que de vivre dans un régime autoritaire ou totalitaire qui nous décharge de cette responsabilité.

La plupart d’entre eux regrette cette posture mais une fois que la démocratie a disparu.

Parce que, s’ils ne risquent plus d’être «fatigués» par leur devoir démocratique, c’est dans des prisons, des camps ou dans une tombe qu’ils risquent de se retrouver plus que fatigués.

Reste qu’il semble que de plus en plus de gens sont prêts à échanger leur liberté contre un soi-disant monde «simple» où l’on pense et on agit pour eux si on leur laisse du pain et des jeux.

Oui, la fatigue démocratique est un des principaux dangers qui guettent notre monde libre.

Et qu’effarées regardent ceux qui vivent sous le joug des autocrates et des dictateurs.

En tout cas, nombre d’entre eux…

Alexandre Vatimbella

 

 

jeudi 4 avril 2024

L’invention d’un peuple démocratique est aujourd’hui un échec

Un lieu commun couplé avec un idéalisme naïf auxquels on peut ajouter une certaine propension à échafauder un récit fantasmagorique rassurant nous amène à croire qu’il suffit d’accorder la liberté et l’égalité à un peuple pour qu’il devienne instantanément démocratique.

Un contresens majeur.

Car un peuple vivant dans un régime démocratique n’est pas synonyme d’un peuple démocratique.

Pour qu’un peuple qui vit en démocratie soit en même temps un peuple démocratique, il doit répondre aux critères nécessaires pour que ce régime existe réellement et non formellement ainsi qu’il fonctionne correctement c’est-à-dire que le peuple doit effectivement être capable d’utiliser l’ensemble des bienfaits qu’il lui offre.

Un peuple démocratique est l’aboutissement du projet démocratique qui de virtuel devient alors effectif, faisant se rejoindre la forme et le fond.

Or donc, aujourd’hui, nous avons des peuples qui vivent en démocratie, des individus qui vivent dans des régimes démocratiques mais qui ne peuvent pas être assimilés à des peuples et des citoyens démocratiques.

Ainsi, aucun peuple actuellement ne correspond à la définition d’un peuple démocratique c’est-à-dire «un peuple composé d’individus dont chacun d’entre eux a acquis la réelle qualité de citoyen parce qu’il a été correctement formé et informé ce qui le rend capable:
- d’utiliser ses droits et de remplir ses devoirs;
- d’utiliser son autonomie en étant responsable de son existence c’est-à-dire d’être celui qui dirige sa vie en prenant des décisions responsables et rationnelles, en les assumant, concernant ses intérêts ainsi que ceux de ses proches et les intérêts de la communauté dans laquelle il vit afin de mener au mieux son propre projet de vie tout en respectant celui des autres;
- de faire la différence entre liberté et licence;
- de respecter l’individualité et la dignité de l’autre comme sont respectées les siennes.

- d’entretenir des relations pacifiques avec les autres en pratiquant le consensus et le compromis.»

S’il est facile de faire le triste constat qu’un tel peuple n’existe pas – et que peu d’individus répondent aux critères listés ci-dessus pour être des citoyens à part entière, c’est-à-dire d’exercer cette qualité de manière optimum – alors que le projet démocratique est en cours depuis près de 250 ans, la question qui demeure en suspens est de savoir s’il pourra un jour exister.

Rappelons que les initiateurs et défenseurs d’un ordre démocratique étaient évidemment conscients de la nécessité de créer un peuple démocratique, des difficultés que cela représentait et du défi qu’ils devaient relever.

Ils savaient qu’il fallait un individu éveillé c’est-à-dire ayant reçu un enseignement de qualité et au courant du monde dans lequel il vit, c’est-à-dire correctement informé d’où l’importance de l’école obligatoire et d’une presse de qualité.

Sans dire que l’école et la presse ont complètement échoué dans leurs missions démocratiques, elles n’ont néanmoins pas réussi à façonner l’individu pour le conduire vers la citoyenneté véritable.

Pire, cet individu dévoie souvent les offrandes démocratiques dans une démarche consumériste égocentrique, irresponsable et irrespectueuse, les retournant contre le projet démocratique en cours, le mettant en péril et menaçant son existence même.

D’où la conclusion pour certains qu’il en sera toujours de même donc que l’individu démocratique ne sera jamais.

Je ne serai pas aussi catégorique.

Ce qui ne permet pas encore de conclure que le projet démocratique, s’il est bien un échec aujourd’hui, le sera définitivement demain, c’est que les moyens n’ont jamais été à la hauteur de l’ambition de créer cet humain libre, conscient de sa liberté et capable de bien l’utiliser.

Cependant, il faut bien comprendre que le défi à relever demande une mobilisation autrement plus conséquente de moyens matériels et intellectuels que ceux qui ont été consacrés jusqu’à présent à cette tâche cardinale.

Comme si on avait jusqu’à présent espérer qu’un ersatz de citoyen suffirait au projet démocratique!

Une terrible erreur que nous payons et que nous paierons au prix fort si nous ne faisons rien pour créer la dynamique essentielle.

C’est dans ce sens – en consacrant les moyens nécessaires – que l’on peut espérer que l’invention d’un peuple démocratique ne sera pas une simple chimère d’idéalistes un peut trop rêveurs.

En revanche, nous devons être conscients que le peuple démocratique n’est encore qu’un objectif et non un but atteint.

Et que le temps presse.

Alexandre Vatimbella

 

 

 

mercredi 3 avril 2024

Enseignant et journaliste ou la mission impossible d’instruire?

L’enseignant et le journaliste sont deux hussards de la démocratie républicaine.

Un individu ne devient un citoyen responsable de sa vie, digne et capable de vivre son individualité que s’il est correctement formé et informé tout au long de son existence.

Pour cela il doit être «instruit» c’est-à-dire que son cerveau soit nourri par une somme de connaissances qui va lui permettre de modeler lui-même son esprit et sa personnalité et d’être en capacité de prendre les bonnes décisions face à la vie, aux expériences et aux événements qui jalonneront son existence et qui lui serviront à mener du mieux possible son projet de vie.

Et pour l’instruire, il faut qu’on l’enseigne, c’est-à-dire qu’on lui transmette un savoir le plus exhaustif possible et qu’on l’informe c’est-à-dire qu’on lui transmette une information la plus complète et la plus objective possible.

Instruire l'individu pour en faire un citoyen est donc la mission de l’enseignant et du journaliste, enseigner et informer sont donc les deux mamelles de la démocratie.

Le projet démocratique repose d’abord sur ces deux devoirs de la société envers ses membres.

Mais plus l’existence du régime démocratique s’étend – bientôt 250 ans qu’il a été instauré aux Etats-Unis – plus le constat de l’échec de la mission de donner vie à un peuple instruit – c’est-à-dire à tous ses membres ou à la grande majorité d’entre eux – s’impose.

Est-ce dû aux manquements de l’enseignant et du journaliste ou à celui du destinataire de leur formation et de leur information?

Comme tous sont des êtres humains, eux et lui!

Sauf qu’à la décharge des deux premiers dont il ne s’agit pas ici de remettre globalement en cause leurs capacités et leurs investissements dans leurs missions, enseigner et informer – au-delà des incompétents et des imposteurs qui existent comme dans toutes les professions – semblent bien des missions impossibles.

Mission impossible non pas pour tous les individus mais pour tout au moins une partie importante d’entre eux, voire peut-être une majorité.

Ce qui amène à énoncer ce constat d’échec est la réalité que nous avons devant les yeux quotidiennement.

Au-delà du fait que nous sommes tous amenés à dire et à relayer parfois des âneries et des mensonges au cours de notre présence sur Terre du fait de notre ignorance et de notre suffisance, pour ne pas dire notre bêtise, beaucoup d’entre nous – la majorité? – sont incapables au cours de leur entière existence de faire le tri afin de démêler le vrai du faux, souvent par une inaptitude à utiliser correctement le tamis de la rationalité pour canaliser les affects et éliminer le plus possible les émotions négatives qui, telles des sangsues vident notre cerveau de ses capacités logiques mais aussi de ce refus de confronter ses certitudes à une analyse rigoureuse où le questionnement doit souvent primer sur l’affirmation péremptoire pour dégager le plus possible les éléments de la réalité.

Bien sûr, les transmissions du savoir et de l’information telles qu’elles sont organisées jusqu’à présent, sont bien loin de répondre aux critères idéaux nécessaires à former systématiquement un citoyen responsable capable de prendre en charge son existence et de décider en toute connaissance de cause pour le bien de ses intérêts et de la communauté dans laquelle il vit.

Cependant, dans la réalité, le savoir et l’information adéquats existent mais ne semblent guère intéresser une grande partie des individus qui préfèrent croire plutôt que raisonner.

D’ailleurs ce ne sont pas les plus ignorants d’entre nous qui «croient n’importe quoi» mais ceux qui veulent bien croire n’importe quoi…

On ne peut pas en conclure à ce stade de l’évolution de la démocratie et de ses progrès que la mission d’instruire est définitivement impossible donc que le socle sur lequel se base cette démocratie est parcouru de fissures qui, non seulement, l’empêchent de fonctionner correctement mais qui la mène presqu’à coup sûr, à terme, à sa disparition.

En revanche, on peut affirmer qu’elle a largement failli depuis que les pays qui l’on adoptée comme régime de gouvernement, ont rendu l’école obligatoire et ont assuré la liberté d’opinion, donc celle d’expression et, in fine, celle de la presse.

L’état des lieux n’est donc guère optimiste et c’est sur celui-ci que l’on est obligé de réfléchir à l’état actuel de la démocratie et des dangers qui menacent son existence.

Surtout à prendre les décisions d’une absolue nécessité et diligence pour que les brèches de la formation et de l’information de l'individu soient le plus possible comblées.

Et ce n’est qu’après avoir remplie cette tâche essentielle et que cet état des lieux alarmant persiste, que l’on pourra réellement répondre à la question sur la capacité des humains à vivre dans une vraie démocratie.

Alexandre Vatimbella