samedi 21 avril 2018

Oui, le populisme démagogique et extrémiste est toujours un danger en France

L’élection d’un centriste – ou centro-compatible – nous a fait oublier une donnée importante de l’élection présidentielle de 2017.
Au premier tour, les candidats populistes démagogues et extrémistes avaient réuni sous leurs noms et leurs diatribes anti-démocratie républicaine 49,62% des suffrages exprimés (dont 21,30% pour Marine Le Pen et 19,58% pour Jean-Luc Mélenchon), un pourcentage énorme, qualifiant une des leurs pour le second tour.
Et si la candidate de cette mouvance aux alliances objectives parfois étonnantes n’a réalisé que moins de 34% des voix en finale face à Emmanuel Macron, ce populisme dangereux n’a pas abdiqué et se retrouve aujourd’hui dans la réaction souvent violente, non seulement aux réformes qui sont en train d’être adoptées, mais dans la contestation même de la démocratie républicaine, des résultats des élections démocratiques et de l’ordre républicain, tout ce qui fonde la base du pacte social de notre société et de notre capacité à vivre ensemble.
Cette fronde anti-démocratique, on la voit à l’œuvre avec les agissements politiques de syndicats d’extrême-gauche (CGT et Sud) qui déclenchent ou tentent de déclencher des mouvements sociaux qui n’ont rien à voir avec la défense de leurs membres et qui affirment ouvertement vouloir saboter l’économie du pays (notamment avec des coupures d’électricité ciblées à certaines entreprises en difficulté), dans les tentatives de promouvoir la violence de petits groupes de militants extrémistes de gauche et de droite (blocages des universités, occupation de l’ancien site de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, etc.), dans les propos injurieux tenus sans cesse par les membres du FN et de FI à tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux et notamment le Président de la république (dont certains personnages, pourtant élus de la République, veulent lui «faire sa fête»).
Sans oublier nombre de médias où les opinions extrémistes des journalistes sont devenus, non pas des commentaires, mais les faits eux-mêmes, dans une sorte d’hubris débridé!
Oui, le populisme démagogique et extrémiste n’a pas disparu comme par miracle après les élections de 2017.
Et, oui, il est toujours un danger en France et pour la France.
D’autant qu’il a été rejoint par une frange du Parti socialiste derrière Benoît Hamon – un Mélenchon au petit pied – et son nouveau parti et par une majorité de LR qui a emboîté le pas au discours radical et populiste de Laurent Wauquiez, clone de Marine Le Pen.
C’est pourquoi l’union de tous les défenseurs de la démocratie républicaine est importante sur de grands thèmes comme les valeurs démocratiques et républicaines mais aussi sur l’Europe avec cette possibilité d’une liste unique l’année prochaine de tout l’axe central, allant des progressistes réformistes de droite à ceux de gauche en passant par ceux du Centre.
C’est pourquoi, également, les réformes doivent être menées à leur terme et démontrer à tous les Français – notamment ceux qui ont été embobinés par les discours démagogiques des populistes – cette nécessité pour le pays de se moderniser afin de récréer les dynamiques qui produiront une croissance, et pas seulement économique, mais aussi sociale et sociétale.
De ce point de vue, il n’est pas anodin de voir que, malgré cette atmosphère électrique et cette ambiance délétère promue sans cesse par les populistes, les sondages sont assez bons, voire bons, pour le pouvoir et notamment Emmanuel Macron, alors qu’ils étaient souvent catastrophiques, une année après leur arrivée au pouvoir, pour ses deux prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande.
Pour autant, c’est toujours dans une volonté de combat pour une société ouverte, une mondialisation humaniste et une croissance plus équilibrée et plus juste que les défenseurs de la démocratie républicaine – que sont, entre autres, les centristes – doivent demeurer.
Rien n’a été gagné définitivement en mai et juin 2017, rien n’est gagné définitivement aujourd’hui et la défense de la liberté, de l’égalité et de la fraternité sera toujours un travail de Sisyphe alors même que les régimes autoritaires et dictatoriaux connaissent un regain de forme, même à l’intérieur de l’Union européenne, et que la haine et le mensonge sont devenus des arguments politiques pour eux-mêmes déversés sans cesse par des populistes démagogues et extrémistes et relayés complaisamment par certains porte-voix médiatiques.

mardi 3 avril 2018

Pour Emmanuel Macron, la réforme et la révolution «en même temps»?

Beaucoup d’observateurs, dont moi-même, ont trouvé dans la rhétorique révolutionnaire d’Emmanuel Macron, un abus de langage, voire un abus idéologique.
Annoncer la réforme, aussi profonde soit-elle, comme une révolution alors que celle-ci se caractérise de celle-là dans sa volonté de changer la société mais pas de société, est une sorte d’anachronisme.
Comment le Président de la république peut-il associer deux termes qui semblent, sinon antinomiques, en tout cas qui recouvrent deux réalités différentes?
Et là, à l’occasion des «commémorations» médiatiques du cinquantenaire de mai 68, on lit, dans une contribution philosophe Paul Ricœur, grand inspirateur du macronisme, datant de l’époque des événements et publiée dans le quotidien Le Monde que «nous sommes entrés dans un temps où il faut faire du réformisme et rester révolutionnaire».
A noter que le philosophe parlait d’une «révolution culturelle».
De même, selon lui, «tout l'art du législateur, dans les temps prochains, sera de mettre en place des institutions légères, révocables, réparables, ouvertes à un processus interne de révision, et à un processus externe de contestation».
Ici, l’on retrouve la volonté de Macron de toujours être dans l’adaptation des règles au réel pour permettre à la société d’être toujours en phase avec les dynamiques diverses qui la traverse et qui peuvent la mettre en porte-à-faux si elles ne sont pas prises en compte.
Si l’on ne peut comparer notre temps à celui d’il y a cinquante ans, en revanche, les deux situations où l’on remet en cause l’«ordre établi» (pas au niveau sécuritaire) et où une communauté semble se retrouver dans une impasse, montre la volonté de Ricœur d’alors et de Macron d’aujourd’hui d’inventer une nouvelle voie d’une transformation profonde («révolutionnaire») s’appuyant sur d’importants ajustements («réformateurs») des règles et de l’agir de la société.
Ici, la rhétorique d’Emmanuel Macron prend du sens.
Mais est-elle pour autant pertinente et juste?
Peut-on associer les deux termes dans ce cas et peuvent-ils apporter le changement profond et nécessaire de la société à un moment donné?
Rappelons d’abord les définitions du mot révolution données par le CNTRL (Centre national de ressources textuelles et lexicales) du CNRS.
La première, est le «mouvement en courbe fermée autour d'un axe ou d'un point, réel ou fictif, dont le point de retour coïncide avec le point de départ».
La seconde est, précise le CNRTL «sans idée de violence», l’«évolution des opinions, des courants de pensée, des sciences; découvertes, inventions entraînant un bouleversement, une transformation profonde de l'ordre social, moral, économique, dans un temps relativement court.»
C’est bien sûr cette dernière dont il est question ici mais non sans rappeler que les différentes révolutions politiques et sociales ont souvent ressemblé à la première…
Pour nous aider à y voir clair, on peut également citer un passage de «L’homme révolté» d’Albert Camus qui éclaire sur ce qu’est devenue la révolution après celle de 1789 puis celle de 1917:
«La révolution ne peut, par fonction, éviter la terreur et la violence faite au réel. Malgré ses prétentions, elle part de l’absolu pour modeler la réalité. La révolte, inversement, s’appuie sur le réel pour s’acheminer dans un combat perpétuel vers la vérité. La première tente de s’accomplir de haut en bas, la seconde de bas en haut».
Pour Camus, pas de doute, le révolté est un réformateur (qui peut être radical), le révolutionnaire est un destructeur (qui est toujours radical).
Le premier veut amener la société à toujours évoluer pour être meilleure en prenant en compte ce qui est.
Le second veut que la société corresponde à ce qu’il souhaite, peu importe ce qui est.
Le premier est un humaniste ouvert, le deuxième un idéologue borné.
Comment et pourquoi, dès lors, Macron s’est emparé du terme «révolution» appelant même son ouvrage-programme du même nom.
Regardons ce qu’il en dit.
D’abord, il utilise le mot «révolution», vingt-deux fois dans ce texte.
Mais sur ces vingt-deux fois, il l’utilise de manière générale que quatre fois.
Deux exemples:
- «Tout cela, me direz-vous, ce sont des rêves. Oui, les Français ont par le passé rêvé à peu près cela. Ils ont fait la Révolution. Certains même en avaient rêvé avant. Puis nous avons trahi ces rêves, par laisser-faire. Par oubli. Alors oui, ce sont des rêves. Ils réclament de la hauteur, de l’exigence. Ils imposent de l’engagement, notre engagement. C’est la révolution démocratique que nous devons réussir, pour réconcilier en France la liberté et le progrès. C’est notre vocation et je n’en connais pas de plus belle.»
- «C’est cette révolution démocratique à laquelle je crois. Celle par laquelle, en France et en Europe, nous conduirons ensemble notre propre révolution plutôt que de la subir. C’est cette révolution démocratique que j’ai entrepris de dessiner dans les pages qui suivent. On n’y trouvera pas de programme, et aucune de ces mille propositions qui font ressembler notre vie politique à un catalogue d’espoirs déçus. Mais plutôt une vision, un récit, une volonté.»
Les autres mentions sont plutôt utilisées de manière à parler de transformation profonde d’un secteur ou pour citer la Révolution française ou américaine.
A l’opposé on trouve trente-cinq fois les mots «réforme» et «réformer», vingt-deux fois le mot «changement», seize fois le mot «changer».
Mais on ne trouve qu’une fois le mot «révolte» et une fois le verbe «se révolter».
Bien sûr, le terme révolution en politique est désormais largement connoté par les événements destructeurs qui se sont parés de son nom, la Révolution française avec les débordements de la Terreur, la Révolution russe et l’instauration d’une dictature ainsi que toutes les révolutions qui ont suivi notamment au cours du XX° siècle qu’elle soit de gauche ou de droite.
En revanche, la Révolution américaine peut nous amener à réfléchir plus avant à ce qu’Emmanuel Macron entend par ce terme même si beaucoup dénie au combat contre le colonialisme anglais par les habitants d’Amérique, l’appellation de révolution.
De même, la Révolution française et la Révolution russe à leurs débuts ne veulent pas instaurer une dictature quelle qu’elle soit ou un régime policier de terreur et de meurtres.
Elles rêvent d’instaurer une démocratie républicaine où prédominent la liberté et l’égalité.
Il s’agit alors de changer de régime, ce qui est un progrès dans le sens où l’on veut instaurer la liberté (aux Etats-Unis, en France, en Russie) et non changer diamétralement les bases du vivre ensemble, ce qui amènera cette utopie assassine en France et en Russie, reprise ensuite par les communistes et les fascistes (on se rappelle que Pétain voulait instaurer en France une «révolution nationale»…).
Dès lors, le concept de révolution possède, selon l’historienne Mona Ozouf une «force ambiguë» qu’elle décrit dans le Dictionnaire critique de la Révolution française (Flammarion, 1988) et qui se caractérise par l’opposition entre la vision de Condorcet et de celle de Saint-Just, la première étant humaniste, la seconde jusqu’au-boutiste.
Ainsi, la vision d’une révolution réparatrice, voire restauratrice d’un ordre «naturel» comme seront vues les révolutions anglaises (1688) et américaines (1776) où le peuple recouvre ses droits s’opposent les révolutions françaises à partir de la Terreur et la russe avec la prise du pouvoir des communistes où une dictature nie ces droits pour soi-disant en inventer de nouveaux.
Si l’on peut, en faisant fi de la vision révolutionnaire imposée par les révolutions française et russe (mais aussi iranienne ou chinoise), c’est-à-dire un événement radical et violent, et revenir à sa signification des Lumières, alors on peut sans doute accoler réforme et révolution.
Pour autant, si Macron veut restaurer des droits, il veut avant tout réformer, d’où une utilisation sans doute exagérée du terme révolution.
Mais si toute cette discussion peut être utile pour comprendre le macronisme, il ne faut pas oublier que «Révolution» est un ouvrage-programme destiné au grand public.
Donc, l’utilisation du mot «révolution» se rapporte à ce qu’on en entend généralement dans le langage commun, un événement – plus ou moins violent – qui bouleverse la société et tente de changer de monde et dont les modèles, qu’on le veuille ou non, nous ramènent aux sans-culottes et aux bolchevicks.
Toujours dans cette utilisation, il s’oppose à la réforme qui veut changer le monde.
Mais il est également utilisé à toutes les sauces pour parler de changement, voulu ou non, à faire ou fait, plus ou moins profond, dans tous des domaines possibles et imaginables, comme la «révolution de l’intelligence artificielle» ou la «révolution du rap» et évidemment la «révolution industrielle».
In fine, Emmanuel Macron utilise le terme «révolution», à la fois, dans sa signification grand public de changement profond et dans une volonté d’attirer le chaland, parce qu’il est chargé de tout un imaginaire particulier, notamment celui du «grand soir» qui semble promettre pour le lendemain le paradis sur terre.
Intitulé son ouvrage révolution est beaucoup plus parlant et vendeur (surtout si on n’est pas un extrémiste) que de l’appeler «Réforme», «Changement» ou «Révolte».
En cela, il est plus dans le marketing et le commercial que dans le politique ou le philosophique (on ne parle pas du contenu mais de la manière de le vendre et de le rendre intéressant).
Du coup, on peut même en déduire que Macron est sans doute plus un révolté (avec sa volonté de profondes réformes) qu’un révolutionnaire et qu’il fait sans doute sienne, l’éloge de la réforme du philosophe Clément Rosset qui vient de disparaitre:
«Il est beaucoup plus difficile – et surtout plus courageux – d’améliorer le monde que de le jeter, tout entier, aux cabinets ».
De son côté, le centriste Aristide Briand affirmait que « l’art du politique, c’est de concilier le désirable avec le possible ».
Voilà, sans doute, le cœur du Centrisme qui, en général, ne se gargarise pas de grands mots parce qu’il sait qu’ils sont souvent creux et parfois extrêmement dangereux.
Et l’on ne peut être que d’accord avec Emmanuel Macron quand il écrit, dans «Révolution» qu’ «Affronter la réalité du monde nous fera retrouver l’espérance».
De même quand il dit, «Nous devons regarder ensemble la vérité en face, débattre des grandes transformations à l’œuvre. Où nous devons aller et par quels chemins. Le temps que ce voyage prendra. Car tout cela ne se fera pas en un jour. Les Français sont plus conscients des nouvelles exigences du temps que leurs dirigeants. Ils sont moins conformistes, moins attachés à ces idées toutes faites qui assurent le confort intellectuel d’une vie politique. Nous devons tous sortir de nos habitudes. L’État, les responsables politiques, les hauts fonctionnaires, les dirigeants économiques, les syndicats, les corps intermédiaires. C’est notre responsabilité et ce serait une faute que de nous dérober ou même de nous accommoder du statu quo.»
Mais tout cela n’est pas de la révolution mais de la réforme…