samedi 14 décembre 2019

Doit-on parler de «réalité» ou de «vérité»?

Dans un monde depuis toujours dominé par l’opinion, la conviction, l’esprit partisan et un certain hubris où l’individu souvent croit qu’il sait alors qu’en réalité il ne sait pas ou, plus grave, sait faux, nous devons tout faire pour que l’on dise les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait qu’elles soient.
Beaucoup de gens emploient pour caractériser cette situation le terme de «vérité».
Pour ma part, j’ai une préférence pour la réalité.
La «vérité» est définie par le CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS) comme une «connaissance reconnue comme juste, comme conforme à son objet et possédant à ce titre une valeur absolue, ultime».
De son côté, la «réalité» est caractérisée par le même organisme comme «ce qui existe».
La différence est que la vérité fait appel à des valeurs parce que ceux qui la disent affirme connaître l’absolu de ce qui est au-delà de sa manifestation alors que la réalité n’est que la constatation de ce qui est.
Dès lors, la réalité précède toujours la vérité car sans établissement de la réalité, pas de vérité possible.
Car, la réalité est, pour le CNRTL «ce qui constitue le monde de l'humain», l’«environnement concret et matériel de l'humain».
Ajoutons que, selon le même organisme, le réel est ce «qui existe, qui se produit effectivement, qui n'est pas un produit de l'imagination», «qui est tel qu’il est» ou comme le définit le Robert, «les choses elles-mêmes».
Rien ne peut interférer dans la réalité, elle est.
De son côté, la vérité a besoin d’être reconnue comme juste avant de pouvoir être considérée comme une valeur absolue.
La vérité est en effet la tentative d’expliquer le réel, donc de signifier ce qui est et non seulement de le dire, de relier certains éléments de ce réel pour démontrer et expliquer la réalité.
La vérité prétend donner un sens à la réalité.
Dès lors, on comprend bien qu’il ne peut y avoir qu’une seule réalité et qu’il peut y avoir un nombre important puisque chacun peut en construire une à partir de la réalité mais en y ajoutant d’autres choses.
En revanche, il y a bien une Vérité avec un grand V mais celle-ci ne nous est pas accessible, à nous humains.
Seul Dieu, s’il existe, en est le détenteur (ou la mémoire de l’univers, aussi difficilement interrogeable que le premier pendant notre existence terrestre…).
«Dieu» est ainsi le seul à posséder le saint graal qui excite tant la communauté scientifique depuis toujours dans une recherche chimérique, notamment les physiciens, la fameuse équation qui expliquerait le tout.
De même, on cherche la vérité (ce qui implique que notre culture personnelle interfère largement pour y parvenir) alors que la réalité est (même si, bien entendu, nous devons travailler à l’établir mais, une fois établie, elle n’est pas parasitée par nos valeurs personnelles).
On peut d’ailleurs placer la Vérité au-dessus de la réalité alors que la vérité, elle, est contingente du réel.
La première définit la réalité alors que la deuxième tente de lui donner un sens.
Ayant dit cela, on comprend bien qu’il vaut mieux se fier à quelqu’un qui dit la réalité plutôt qu’à quelqu’un qui prétend détenir la vérité (même si, pour certains, la vérité et la réalité seraient des synonymes, proposition que je ne partage pas, on l’a compris).
Cela peut paraître un débat un peu superfétatoire et une sorte de masturbation intellectuelle mais ce n’est pas du tout le cas.
D’abord parce que les philosophes et les scientifiques ont noirci tant de pages à savoir ce qu’était la vérité (et la Vérité, ici, rejoints par les théologiens) que l’on ne peut écarter d’une main cette problématique.
Ensuite, dire les choses, bien définir de quoi l’on parle, c’est essentiel pour une communauté humaine dont une des principales caractéristiques sociales c’est la communication.
C’est aussi replacer la situation actuelle qui est de plus en plus gangrénée par la propagande, les théories du complot, les infox (fake news), la post-vérité, les faits alternatifs, les fausses équivalences, etc. le tout sur fond d’une information qui n’est plus seulement de l’«infotainement» ou qui utilise le marketing mais bien une simple technique marketing pour s’attacher des consommateurs d’information (à qui on parle de ce qu’ils veulent qu’on leur parle et à qui on dit ce qu’ils veulent entendre notamment grâce à l’instrument du sondage et diverses autres enquêtes publiées ou non) dans un cadre plus large de réflexion mais aussi dans un cadre historique où l’on s’aperçoit que la manipulation de la réalité a toujours existé et que des personnes comme César, Napoléon et bien d’autres ambitieux narcissiques ayant dirigé le monde ont raconté leur «vérité» au mépris total de la réalité.
La réalité, donc, est l’outil irremplaçable qui permet à tout humain, tout individu, toute personne, tout citoyen de savoir dans quel monde il vit, donc de pouvoir en prendre, sinon la mesure, en tout cas la connaissance et le fonctionnement, afin de pouvoir construire son projet de vie du mieux possible et être en capacité du mieux qu’il le peut de le mener à bien et de la réussir tout en prenant ses décisions et en appliquant sa volonté avec la plus grande efficacité possible au regard de celui-ci.
Savoir la réalité, pouvoir vivre dans le réel sont donc d’une importance primordiale pour un individu dans une démocratie républicaine parce que c’est cela qui lui permet de pouvoir devenir et être une personne libre dotée de droits et de devoirs, responsable de ses actes, à la fois, pour en répondre mais surtout pour pouvoir prendre librement les décisions qui vont impacter son présent et son avenir.
On comprend aussi quelle est l’importance de pouvoir avoir accès à cette réalité, c'est-à-dire à pouvoir s’informer du réel par tous les outils de communication à sa disposition.
C’est la raison pour laquelle l’ensemble du système de la transmission du savoir constitué par la formation et l’information est un des fondements d’un citoyen éclairé.
Pour ce faire, les démocraties républicaines ont mis en place un service public de la formation (enseignement) important.
En revanche, même s’il existe également un service public de l’information, celui-ci ne fait souvent pas le poids face au secteur privé, ce qui est malheureux.
De même, ni le service public de la formation, ni celui de l’information ne répondent à des critères d’impartialité suffisants pour être ce qu’ils devraient être, des outils qui permettent à l’individu de construire son individualité dans un savoir libéré au maximum de toute opinion extérieure qui le parasite.
Même si l’on comprend que cela est quasiment impossible d’éliminer toute opinion dans la transmission du savoir, il est, en revanche, possible de nettement améliorer ce qui existe actuellement.
Et ce n’est qu’à ce moment là, quand tous les individus sans exception pourront avoir accès à ce savoir s’appuyant sur le réel et qu’ils pourront l’utiliser (dans leur capacité et dans son existence) qu’enfin on pourra parler d’un citoyen réellement éclairé et émancipé.

Alexandre Vatimbella


jeudi 12 décembre 2019

La démocratie au risque de la revendication permanente de tous pour tout

Quotidiennement, lorsque nous prenons connaissance des informations nous sommes bombardés de manière anxiogène par les revendications de groupes sociaux, professionnels et autres qui demandent des droits, des avantages, des passe-droits et autres bonus catégoriels tout en menaçant de se mettre en grève, de défiler ou de bloquer le pays pour un temps infini.
Et tout ceci est mis en scène pour être le plus «punchy» parce que la revendication est désormais un produit d’appel pour les médias – voir le traitement souvent scandaleux en la matière du mouvement de foule des gilets jaunes –, notamment audiovisuels, qui doivent constamment créer l’événement (et non plus relater les faits) pour avoir le plus d’audience possible dans un environnement concurrentiel où l’information est un produit pour des consommateurs et non plus un outil pour le citoyen.
D’ailleurs, dans une sorte d’aller-retour pas toujours très sains  et c’est un euphémisme – il est sûr que certaines revendications n’ont existé que par le relais que les médias leur ont accordé, voire n’ont été créées que parce que ceux qui les faisaient leur espéraient dans une reprise médiatique qui les mettraient en avant, voire au premier plan.
Une des plus grandes farces de notre époque de la revendication permanente est, dans une volonté de «convergence des luttes», la tentative de réunir les revendications portées par Europe-écologie-les-Verts en matière d’environnement et celles des gilets jaunes alors même que ces derniers ont débuté leur mouvement pour lutter contre la mise en place d’un impôt écologique, la taxe carbone!
On atteint là l’absurdité totale où ne se dégage qu’une volonté de se confronter aux pouvoirs publics par tous les moyens.
Car, dans le cas spécifique de la France, ces revendications s’adressent prioritairement à ces pouvoirs publics (et contre eux) et plus particulièrement à l’Etat même si celles-ci concernent une entreprise privée ou un secteur dont ne s’occupe pas ce dernier.
Un Etat qui est désormais – même s’il en a toujours été le principal récipiendaire – sommé d’agir afin de contenter les désidératas de cette revendication permanente de tous pour tout.
Ce nouveau paradigme de la contestation met en péril, non seulement, le socle sur lequel est bâtie la démocratie républicaine mais aussi l’essence même du lien social établi, non pas parce que nous préférons vivre en société mais parce que nous ne pouvons pas faire autrement que vivre en société.
En effet, si chacun de nous défend naturellement ses intérêts, il y a également un autre élément essentiel dans notre nature: nous ne pouvons pas vivre en dehors d’une communauté.
Même un anarchiste individualiste comme Max Stirner le reconnaissait.
Dès lors, pour vivre en sécurité, nous devons trouver un lien qui nous permet de vivre ensemble et qui, sans oblitérer la recherche par chaque individu de son intérêt, remet cette recherche dans un cadre plus large où nous devons trouver un consensus où se confrontent tous les intérêts individuels mais dans le compromis de la viabilité d’un intérêt collectif.
Ce dernier ne tombe pas d’en haut comme ce pseudo «intérêt général» dont on ne sait pas très bien de quoi il est constitué et de quelle légitimité il se réclame.
Non l’intérêt collectif est une partie indissociable de chaque intérêt individuel tout en le dépassant.
Cette apparente contradiction signifie simplement que notre intérêt individuel ne peut exister concrètement, c'est-à-dire que cette volonté puisse produire du concret, que s’il est protégé mais aussi canalisé par les règles du vivre ensemble et notamment celle qui s’appuie sur le réel.
Et cet intérêt collectif est la condition sine qua non, dans une communauté, à la réalisation effective des intérêts individuels.
Ainsi, si je veux telle chose, il faut que je puisse être vivant pour l’acquérir, c'est-à-dire que je vive dans une société qui me garantisse la sécurité comme à tous les autres membres, donc qui fasse en sorte que tous, nous reconnaissions la légitimité de cette communauté qui nous protège.
Mais si je veux telle chose, il faut également que je reconnaisse, non seulement, que tous les autres membres de ma communauté peuvent la vouloir mais qu’il est réellement possible de l’obtenir dans le cadre du fonctionnement d’une communauté qui m’assure, et la protection, et la capacité, si cela est du domaine du possible, de l’acquérir effectivement.
Je peux vouloir m’accaparer tous les biens d’une communauté mais je sais que, peut-être, d’autres membres de cette communauté le veulent aussi et que dans le réel cela est impossible, non seulement parce que ces autres ne seront pas d’accord pour me l’accorder qu’à moi mais aussi parce que cela n’est pas possible puisqu’en les conquérant je fais en sorte de ne pas permettre à ces autres de simplement exister, donc de légitimer une organisation sociale qui les exclut de facto en me permettant de tout avoir et eux rien (dès lors, ils sont d‘ailleurs légitimes à se rebeller contre celle-ci).
Il y a bien sûr plusieurs manières de faire valoir son intérêt individuel dans une communauté, dont une est la revendication.
Dans une démocratie, en matière sociale, cela peut prendre la forme légitime de manifestations et de grèves (légitimité que ne possèdent pas la rébellion et la révolution puisqu’il existe un moyen légal de changer le pouvoir en place, si celui-ci ne veut pas faire aboutir ses revendications).
Chacun peut ainsi, en respectant la règle juridique, descendre dans la rue pour demander à ce que ses désidératas soient contentés et cesser le travail pour appuyer ceux-ci.
En retour, chacun doit avoir un comportement de responsabilité en estimant si ses revendications sont du domaine du possible ou non.
C’est vrai qu’il est parfois difficile de savoir si l’on peut demande ceci ou cela et si on est en droit de l’obtenir.
Pour reprendre l’exemple cité plus haut, il est évident que de demander à posséder tous les biens d’une communauté est évidemment inacceptable.
Mais c’est un exemple évident et caricatural qui peut, tout au plus, démontrer la nécessité d’une mesure dans la revendication.
En matière de demande extra-ordinaire à la communauté (on ne parle pas ici des accords que des particuliers peuvent passer entre eux), c'est-à-dire où l’on demande quelque chose que les autres n’ont pas, il faut s’assurer de la légitimité de cette revendication au motif qu’elle établit une égalité entre tous qui n’existe pas.
Si je suis handicapé de naissance et que je ne peux monter des escaliers, il semble évident qu’une rampe ou un ascenseur rétablit mon égalité et que cette demande de pouvoir me déplacer comme les autres n’est pas illégitime et inenvisageable à mettre en œuvre techniquement et financièrement par la communauté.
Tout autrement est la demande que la communauté vous paye des avantages que les autres n’ont pas alors même que vous n’avez aucune raison que ces derniers, par le biais de la communauté, vous les payent.
C’est le cas, par exemple, en matière de retraite avec les «régimes spéciaux» payés par les deniers publics.
Ici on parle de ce que j’appelle une «plus grande égalité» que les autres, c'est-à-dire que l’on justifie que la communauté vous donne des avantages que les autres n’ont pas et qu’ils doivent vous payer parce que l’on a un droit à être plus égal qu’eux au regard de ce que l’on estime être son intérêt soi-disant supérieur pour tout un tas de raison (comme le fait de travailler dans un secteur où certains des salariés peuvent avoir une plus grande pénibilité dans leur emploi).
Plus largement, nous sommes dans une démocratie qui est devenue consumériste et à la carte (je prends d’elle ce que je veux et qui est mon intérêt et je rejette ce qui me gêne dans le recherche de mon intérêts et ce qui ne me plaît pas) où la revendication de tous pour tout est devenue permanente.
Il ne s’agit plus ici de lutter pour son intérêt avec responsabilité et en regard de ce qui est possible vis-à-vis de la vie en communauté mais de se servir sur et de la communauté pour l’assouvir quoi qu’il arrive et coûte que coûte.
Cela ne peut que mener à une impasse où les perdants seront nombreux et où l’un d’entre eux sera la démocratie républicaine qui, si elle doit gérer les intérêts individuels, n’a pas pour mission de contenter toutes les revendications mais bien de trouver un compromis entre tous dans un juste équilibre et une égalité de traitement.
Malheureusement, ce temps de la revendication permanente de tous pour tout ne semble pas au crépuscule de son existence.

Alexandre Vatimbella

dimanche 24 novembre 2019

La démocratie a-t-elle mérité Trump?

Au moment où se tient à la Chambre des représentants des Etats-Unis la procédure publique officielle de l’impeachment (destitution) de Donald Trump à propos de sa demande d’aide au gouvernement ukrainien de salir son principale opposant à la présidentielle de 2020, le démocrate et ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden, en échange d’une aide militaire (déjà votée par le Congrès et qu’il ne pouvait bloquer comme il l’a fait), une question essentielle se doit d’être posée: la démocratie a-t-elle mérité un tel personnage, c’est-à-dire un populiste démagogue, menteur, malhonnête, incompétent, sexiste, raciste qui excite les pires travers humains, notamment de ses électeurs et ses soutiens et dont beaucoup de gens estiment qu’il a de graves problèmes mentaux le rendant inapte à sa fonction.
De manière plus directe et plus provocatrice, Trump [c’est-à-dire son archétype] est-il un produit «naturel» de la démocratie?
Est-il une conséquence inexorable (à termes répétés de tels personnages) d’un régime qui permet à n’importe qui de pouvoir être président?
Mais on peut aussi poser la question, quelque peu différente, de savoir si Trump est un produit de ce qu’est devenue actuellement la démocratie voire de l’«approndissement» d’un régime démocratique.
A l’inverse, on peut se demander s’il est un accident ou une erreur de la démocratie ou le produit d’un dévoiement de la démocratie.
Et si ce dévoiement vient de l’«intérieur» de la machinerie démocratique (comme, par exemple, la montée d’une autonomie irresponsable de l’individu) ou de l’«extérieur» (comme, par exemple, la prégnance d’une idéologie néo-libérale et financière régissant le capitalisme moderne)?
Pour bien poser le débat, rappelons rapidement ce que sont les fondements d’une démocratie et quel est l’état actuel des régimes démocratiques et/ou de l’avancée démocratique dans les pays qui connaissent ce régime depuis plus ou moins longtemps.
La formule d’Abraham Lincoln utilisé lors de sa fameuse adresse sur le champ de bataille de Gettysburg encore fumant lors de la guerre de sécession (appelée de manière plus appropriée guerre civile aux Etats-Unis) est un début: «le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple».
Ajoutée à la devise de la République française (liberté, égalité, fraternité), le portrait devient plus consistant.
Mais cela n’est pas suffisant parce qu’il faut y ajouter ce que certains estiment tout aussi important que la volonté de la majorité, celle de la protection de la minorité, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de démocratie si l’on ne garantit pas les droits inaliénables de ceux qui ne pensent pas comme la majorité mais qui se plient à la règle démocratique.
En quelques sorte c’est l’application légale d’une vertu essentielle du vivre ensemble démocratique, le respect de la dignité de toute personne (ce dernier recouvre toutefois un champ plus étendu).
Enfin, et ce n’est pas un des moindres éléments, la démocratie est un pari fait sur l’humain.
Si les Pères fondateurs des Etats-Unis se méfiaient des masses et avaient décidé d’élaborer une constitution où des garde-fous devaient empêcher tout débordement populistes (on a vu que ceux-ci n’étaient guère efficaces avec l’élection de Trump…), ils croyaient néanmoins comme beaucoup des partisans de la démocratie que cette dernière permettrait une émancipation de l’individu qui serait, au fil du temps, de plus en plus capable d’être un citoyen responsable grâce aux bienfaits des valeurs démocratiques, en particulier l’éducation pour tous.
Il serait alors capable de défendre ses intérêts personnels et ceux de ses proches dans le cadre d’une communauté libre où, tout en défendant son point de vue, on accepterait ceux des autres et admettrait que les décisions devraient se prendre en toute responsabilité face au réel.
Dès lors, pour que ce système fonctionne, le choix des dirigeants d’un pays ne peut évidemment se faire que par les élections de représentants élus par tous les citoyens (sachant l’inapplicabilité de la démocratie directe dans des sociétés complexes et importantes que sont les démocraties républicaines).
Et c’est ici que se place le cœur de nos interrogations de départ.
Si le «peuple» (en réalité l’agrégation de tous les individus qui sont régis sur un même territoire par la même règle juridique) choisit, il est donc légitime de se demander quels sont les critères de son vote qui peuvent aboutir à l’élection d’une personnage comme Donald Trump.
Je ne rentrerai pas ici dans la controverse du collège électoral qui élit en réalité le président des Etats-Unis, composé de délégués élus Etat par Etat, permettant donc qu’un candidat ayant moins de voix qu’un autre (ce qui fut le cas de Trump en 2016 face à Hillary Clinton, avec un déficit de près de trois millions) accède à la plus haute marche de l’Etat.
Car – si j’estime que ce système qui devait modérer le choix d’un président a complètement failli (comme il avait déjà failli en 2000 avec l’élection de George W Bush) –, il est tout à fait légitime dans le sens où le «peuple» ne l’a jamais remis en cause, en tout cas, n’a jamais voté pour le supprimer.
L’idée que tout le monde – et donc n’importe qui – peut se présenter à une élection est un principe de la démocratie.
Bien entendu, celle-ci, partout où elle existe, a mis des conditions restrictives mais, globalement, l’énorme majorité de la population d’un pays peut se présenter et se faire élire.
On comprend bien que l’écrémage se fait également par le biais de médiateurs comme les partis politiques ou des reconnaissances venant des mondes économiques, sociaux, culturels ou sociétaux.
Sans oublier les médias qui peuvent promouvoir (consciemment ou non) un individu et lui donner une légitimité qui peut prêter à controverse.
Evidemment, un inconnu sans soutien et venant de nulle part peut tenter sa chance mais il a une probabilité d’être élu qui est très faible voire nulle.
Maintenant, il nous faut parler de l’état actuel de la démocratie dans les pays où existe réellement un tel régime politique.
L’évolution de ce dernier ressemble un peu aux craintes que pouvaient avoir les Pères fondateurs de la nation américaine dont nous avons vu plus haut qu’ils espéraient que la confrontation des intérêts particuliers et un gouvernement qui serait fait de poids et de contre-poids assureraient néanmoins un équilibre salutaire ainsi que celles d’Alexis de Tocqueville.
Ils ne croyaient pas dans la bonté inhérente de l’humain mais dans sa capacité à évoluer et, dans ce cadre, à acquérir une sagesse suffisante pour faire fonctionner un système d’une grande force idéale mais d’une grande fragilité structurelle.
Mais, aujourd’hui, ce n’est pas vraiment cette démocratie responsable qui a vu le jour mais plutôt une démocratie consumériste issue de la montée en puissance de l’autonomie de l’individu, un bienfait dans son essence mais qui s’est malheureusement faite dans l’irresponsabilité, dans l’insatisfaction chronique et dans l’assistanat avec des comportements irrespectueux, égoïstes, égocentriques.
Le tout dans des agirs qui sont largement dans l’immédiateté, dans la croyance plutôt que la connaissance, voire dans l’ignorance et l’opposition systématique à tout pouvoir, même celui qui est démocratiquement légitime.
Dans ce cadre, l’élection d’un archétype trumpien n’est, son seulement pas une surprise mais une sorte de conséquence de l’hydre créé, non pas par la démocratie, mais par son dévoiement même s’il faut se demander si ce dévoiement n’est pas inscrit dès le départ dans la promesse démocratique.
Et force est de reconnaître qu’il y a des indices qui militent en ce sens.
Ainsi, le pari démocratique ne semble fonctionner correctement (jamais parfaitement) lorsque les individus retirent de celui-ci des gratifications immédiates comme lorsqu’il y a une forte croissance économique.
Mais dès qu’il faut faire des efforts, dès qu’il y a des problèmes et des obstacles importants au progrès, alors le vote est une arme de sanction, non pas contre les élus en place, mais contre le régime lui-même.
Cela peut aboutir, dans les cas les plus extrêmes, à la prise du pouvoir légale d’un Adolph Hitler (mais l’on pouvait penser ici que le régime démocratique en Allemagne était encore trop récent donc trop faible pour faire face à la montée du nazisme sur fond de la Grande dépression) et plus généralement à l’élection de personnages tel que Donald Trump (et ses avatars un peu partout dans le monde).
Bien entendu, il n’y a pas d’unanimité du «peuple» pour les installer au pouvoir – même pas de majorité pour ce qui concerne le président américain actuel – mais, néanmoins, une majorité ou une forte minorité – qui profite de l’émiettement partisan que peut créer la démocratie.
Maintenant, dire que la démocratie a mérité Trump est une problématique qui se superpose au mécanisme dont on vient de parler.
Cela suppose en effet que quoiqu’il arrive, le régime démocratique sortira de sa boite de Pandore des Trump à périodes répétées, voire, dans les années à venir, quasi-systématiquement.
De ce point de vue, il est bon de ne pas oublier les Orban, Erdogan, Duterte, Bolsonaro et autres Salvini qui occupent ou ont occupé le pouvoir (et pourront à nouveau l’occuper) et évidemment ceux qui sont en attente comme Le Pen ou Iglesias.
En fait, nous sommes sans doute à un tournant des régimes démocratiques et celui-ci peut prendre toutes les directions possibles sans pour autant affirmer que le pire (c’est-à-dire l’institutionnalisation de l’archétype Trump) sera la réalité de demain.
Bien entendu, on peut dire que le «peuple» américain a accepté la présidence d’un démagogue populiste escroc, menteur, etc. sans se rebeller, sans le renverser et, parfois, dans une apathie coupable.
Cependant, on pourra éventuellement parler d’«accident de l’Histoire» s’il est battu lors de la présidentielle de 2020 (en revanche s’il est réélu le thèse accidentelle ne tiendra plus la route, d’où l’importance cruciale de cette élection pour l’avenir de la démocratie).
Eventuellement, dis-je, car si cette défaite sera salutaire pour le régime démocratique, cela ne signifiera pas pour autant un retournement des tares issues du dévoiement de l’idéal démocratique.
Et c’est bien là que le bât blesse profondément l’animal démocratique.
Car si la démocratie est condamnée à être une organisation de la société d’une grande faiblesse – ce qui fait son extraordinaire attrait tellement elle est émancipatrice et progressiste dans ses valeurs et ses principes –, elle tire sa force d’une sorte de consensus qui dit que si elle n’est pas parfaite, elle reste le meilleur ou le moins mauvais système où chacun peut faire valoir ses intérêts.
Or, la montée de l’autonomisation irresponsable, égocentrique, assistée, insatisfaite et irrespectueuse de l’individu peut nous amener, plus vite qu’on ne le pense, dans une pseudo-démocratie, médiacratique, médiocratique, populiste, démagogique et consumériste, totalement ingérable et donc prélude à des régimes autoritaires voire totalitaires.
On peut espérer que tel ne sera pas le cas et que les forces qui poussent la démocratie à exister seront plus fortes que celles qui veulent la détruire et en faire un système qui a failli en un temps record face à la longueur de l’Histoire de l’Humanité.
Et si c’est cette dernière alternative qui est la bonne, on pourra alors dire que, oui, la démocratie, en ce début de deuxième millénaire, avait mérité Trump.
C’est la seule réponse que l’on peut faire actuellement.
Mais cela ne veut donc pas dire que le pire va survenir.
Cela signifie qu’il y a un risque qu’il survienne mais que nous pouvons agir pour l’en empêcher.
Comment?
En misant sur l’émergence de cet individu libre, responsable, respectueux.
Non pas en l’attendant comme un messie mais en travaillant d’arrache-pied à ce qu’il devienne une réalité.
Certains prétendront qu’il s’agit d’un travail de Sisyphe, d’une utopie irréalisable et ils pourraient bien avoir raison.
Mais, comme je l’ai dit, la démocratie est un pari sur l’humain et tant qu’on peut parier sur l’espoir, il y a lieu de le faire.
In fine, néanmoins, il faut bien comprendre que cette situation se déroule non pas à la fin du XVIII° siècle quand les Etats-Unis sont devenus la première démocratie moderne, non pas au début du XX° siècle où cette même démocratie était dans sa jeunesse là où elle était implantée, non pas après la Deuxième guerre mondiale où il fallait reconstruire un peu partout l’architecture démocratique mais bien dans le premier quart du XXI° siècle dans un pays – les Etats-Unis – qui connaissent la démocratie depuis près de 250 ans.
Bien sûr, par rapport au temps historique, on peut considérer qu’un quart de millénaire n’est pas très important pour un système politique notamment si on le compare à d’autres qui ont duré nettement plus longtemps, certains pendant des milliers d’années.
Mais l’on peut aussi considérer que ce quart est assez long pour savoir si un tel système est viable sur le long terme, c’est-à-dire qu’il a pu éliminer ou bloquer efficacement certaines tares qui menacent de le détruire de l’intérieur.
C’est la fameuse vision du verre à moitié plein ou à moitié vide.
Quoi qu’il en soit, c’est un problème que devra régler aussi rapidement que possible la démocratie pour démontrer qu’elle est viable au XXI° siècle et pour ceux qui vont suivre.
Si elle n’y parvient pas alors, oui, la démocratie aura mérité Trump.
Sans doute pour notre malheur.

Alexandre Vatimbella

mercredi 20 novembre 2019

Les devoirs de la société vis-à-vis des enfants


On fête donc, en ce 20 novembre, journée des droits de l’enfant, le trentième anniversaire de la signature de la Convention des Droits de l’Enfant qui fut et reste un progrès énorme dans la reconnaissance de l’enfant comme une personne, dotée de droits et ayant son autonomie par rapport aux adultes dont ses parents.
Ce progrès et d’autres qui ont eu lieu au cours du XX° et du XXI° siècles avec des personnalités comme Janusz Korczak, Françoise Dolto ou Benjamin Spock, entre autres, ont permis à certains imbéciles de prétendre que le règne de l’enfant-roi était survenu et que celui-ci était sur-gâté, surprotégé et sous-discipliné.
Une aberration totale pour tous ceux qui s’intéressent ou s’occupent de la cause de l’enfance à travers le monde où, partout, même dans nos «sociétés avancées», des enfants sont assassinés, violentées, maltraités, vivent dans la pauvreté, n’ont pas accès à l’éducation et à la santé, etc.
En réalité, souvent l’enfant est considéré par des parents-rois comme un objet de valeur et non un sujet de droit, qui a, comme ils le réclament d’abord pour eux, droit au respect (qui est ici plutôt une révérence sans contrepartie) mais n’en a pas le devoir, d’où cette dénonciation sans fondement de sa toute-puissance qui n’est, in fine, qu’un leurre.
D’ailleurs, cette déification irresponsable d’être avant tout le fils ou la fille de ses parents – mais pas un être autonome – est un handicap énorme pour toute son existence.
En fêtant cet anniversaire des droits de l’enfant, il est donc plus qu’urgent de dire à tous les adultes et, en particulier à tous les responsables politiques, que la société a des devoirs vis-à-vis des enfants.
Parce que cette notion des droits est assez abstraite pour certains qui n’y voient qu’une sorte d’appellation contrôlée que l’on applique à des campagnes, des colloques, des livres mais qui n’est pas très parlante au quotidien.
Alors qu’en parlant des devoirs des adultes en la matière, c’est pointer que chacun de nous doit rendre des comptes aux enfants et non pas être des spectateurs désengagés de tous les maux qu’ils peuvent subir du fait de nos actes, de nos décisions, de notre refus d’agir ou de regarder.
Oui, même si cette affirmation est devenue un enfoncement de porte ouverte, le respect de l’enfant et de l’enfance n’est pas une réalité de notre monde actuel.
Bien entendu, des améliorations, parfois éminentes, ont eu lieu ainsi que des prises de conscience mais il reste tant à faire.
Une réalité qui n’a pas été au rendez-vous du début du quinquennat d’Emmanuel Macron puisque, de manière scandaleuse, aucun ministère n’était dédié à la protection de l’enfance.
Cet «oubli» volontaire a été depuis réparé mais avec un simple secrétariat de «protection de l’enfance» (alors qu’il faudrait un ministère «de l’enfance» comme le demande le défenseur infatigable de la cause des enfants qu’est Jean-Pierre Rosenczveig), qui a une mission parfois très restrictive des droits de l’enfant et du respect de sa dignité et de son individualité au cœur de son émancipation et de la possibilité de réaliser son propre «projet de vie» pourtant si chère à Emmanuel Macron.
Ainsi, par exemple, pour ce qui est de la PMA et de la GPA – quel que soit l’opinion que l’on a sur ces pratiques – c’est avant tout le droit des adultes, des hommes et des femmes, qui a été mis en avant par les responsables de la majorité et, surtout, du secrétaire d’Etat en charge de la protection des enfants plutôt que celui des enfants que l’on a plutôt traité en simples objets de désirs que chacun aurait le droit de posséder s’il en manifestait l’envie.
C’est pour cela que les devoirs vis-à-vis des enfants doivent être mis en avant car cela renverse la problématique en ne faisant pas des droits une belle vitrine que l’on regarde en se félicitant de l’avoir rendue si attrayante mais en rappelant sans cesse aux adultes qu’ils ont cette obligation morale, éthique et juridique de respecter l’enfance dans toutes ses dimensions parce que oui, comme le disaient Korczak, Dolto et Spock, l’enfant est une personne.

Alexandre Vatimbella



samedi 9 novembre 2019

30 ans après Berlin, nous sommes en train de reconstruire des murs

La chute du mur de Berlin, c’était il y a trente ans, un 9 novembre 1989, dans l’euphorie, non pas que le système capitaliste avait terrassé le système communiste comme le prétendent les ignorants et les falsificateurs de l’Histoire, mais de la victoire de la Liberté, celle avec un grand L. Bien sûr, la boucherie de la place Tienanmen à Pékin quelques semaines plus tôt exécutée par les communistes chinois sous la direction du «grand réformateur» (sic!) Deng Xiaoping, avait un peu terni cette période où l’on voyait les régimes autoritaires et dictatoriaux s’effondrer les uns après les autres et qui aboutirait, in fine, à la disparition de l’Union soviétique.
Mais l’on se disait que la Chine – mise au ban des nations et qui n’était encore qu’une «puissance émergente» – serait obligée, volontairement ou non, de suivre le «sens de l’Histoire» qui semblait indiquer que la marche de la liberté mais aussi de toutes les valeurs humanistes était devenue irrésistible.
Trente ans après, que de désillusions et de rappels à la réalité!
Mais surtout que d’inquiétudes et d’angoisses devant un monde où les extrémistes, les populistes, les démagogues, les escrocs, les affairistes et les bouriscoteurs, sans oublier les terroristes tiennent le haut du pavé dans un mélange indigeste liberticide et de corruption, d’enrichissements indécents et de violences en tous genres.
Un monde qui s’éloigne du respect de la dignité humaine et où se meuvent les personnages les plus malfaisants et les organisations les plus nauséabondes qui sèment le désordre, le chaos, la haine et la mort au nom d’idéologies abjectes ou d’intérêts particuliers, voire personnels, dans un flot de propagande (que l’on appelle désormais «fake news»…) et de complots que même le KGB et la Stasi (polices politiques respectivement de l’URSS et de l’Allemagne de l’Est) n’avait pu mettre en œuvre malgré leur puissance lors de la Guerre froide.
Oui, trente ans après que nous ayons cru naïvement – mais que cette naïveté avait le goût du bon! – à un monde meilleur, nous sommes en train de reconstruire, non pas un mur, mais une multitude murs partout dans le monde et en particulier en Europe qui aboutiront, si l’on n’inverse pas la tendance, à ce que le Vieux continent (mais aussi l’humanité toute entière) sait malheureusement faire le mieux: la guerre…
Nous voilà donc à un nouveau tournant de l’Histoire, bien éloigné de celui de 1989.
Bien éloigné également de l’espoir d’une construction européenne qui, ne l’oublions pas, avait comme un de ses buts de lutter contre le totalitarisme qui sévissait derrière le rideau de fer et de réunir l’ensemble des pays européens dans une vaste fédération des Etats-Unis d’Europe.
Car 1989 – avec toutes les difficultés que l’on pouvait déjà soupçonner – devait être, sinon l’apothéose d’une Europe unie, en tout cas la pierre angulaire sur laquelle tout l’édifice de ces Etats-Unis allait s’édifier.
Ce ne fut pas le cas même si l’élargissement de l’Union fut accomplie, certes dans une absence de logique que nous payons aujourd’hui mais, il est bon de le rappeler, dans une volonté de créer des liens entre des pays qui menaçaient de se faire la guerre entre eux pour des questions de nationalités (bonjour les séquelles du Traité de Versailles et du découpage de l’Europe en 1945!) comme entre la Hongrie et la Roumanie et qui eut lieu dans le seul endroit où l’on intégra pas, la Yougoslavie…
Reste que les défis d’aujourd’hui sont encore plus prégnants qu’en 1989 avec, non seulement, un monde où la démocratie républicaine est en danger mais où l’Humanité entière l’est également avec les problèmes environnementaux, ceux de l’accès à l’eau et à une nourriture suffisante sans oublier une augmentation de la population mondiale non encore maîtrisée, tout ceci étant loin d’être exhaustif.
Alors, comme dirait l’autre, messieurs et mesdames les maîtres et maîtresses du monde, faites tomber ces murs!

Alexandre Vatimbella

lundi 4 novembre 2019

Peut-on réconcilier le travailleur, l’électeur et le consommateur?


L’individu est multiple, cela est un fait.
Chacun de nous – sans être pour autant schizophrène – vit plusieurs existence à la fois qui s’entrechoquent et s’opposent, ce qui donne souvent un magma de positionnements et de croyances d’où sortent nos comportements parfois contradictoires voire opposés les uns aux autres.
Ainsi, en tant que travailleur (salarié ou indépendant), nous voulons maximiser les profits (financiers ou non) de notre activité.
En tant que consommateur, nous voulons maximiser notre pouvoir d’achat et notre capacité à avoir le plus et le mieux avec le moins possible de dépenses.
En tant qu’électeur, nous jonglons entre nos convictions et nos intérêts.
Et ceci est constant.
Prenons un exemple édifiant qui s’est imposé dans le débat politique avec le mouvement de foule des gilets jaunes, la voiture (et, en l’occurrence le prix de l’essence et, notamment, le montant des taxes, en l’espèce celle de la taxe carbone).
Le salarié d’un constructeur automobile veut évidemment que les voitures se vendent.
Mais en tant que conducteur-consommateur – qui doit peut-être utilisé son véhicule pour se rendre à son travail –, il veut que l’essence soit la moins chère possible.
Et en tant qu’électeur, il veut qu’on lui assure la sécurité de conduire sans effet néfaste pour sa santé.
Dès lors, il veut – entre autres – que ceux qu’il choisit pour nous gouverner, à la fois, s’occupe de l’industrie automobile pour son emploi, de l’essence pour ses déplacements et de la qualité de l’air pour sa santé et sauver, accessoirement, la planète (en réalité l’Humanité).
Et si cela est impossible de maximiser ses trois demandes et qu’il faut des réformes plus ou moins drastiques pour parvenir au meilleur choix possible, il va s’y opposer, revendiquer, manifester et, peut-être, commettre des actes de violences, tout en écoutant les sirènes des populistes démagogues qui lui promettent un paradis qui n’a jamais existé s’il se tourne vers eux.
Un autre exemple, à deux bandes celui-là, est une constante du comportement humain.
En tant que travailleur-contribuable, je veux payer le moins d’impôt possible alors qu’en tant que consommateur de services publics et bénéficiaire d’aides de la part de l’Etat, je veux en avoir le plus possible.
Ce cercle vicieux où chacun de nous se renvoie à lui-même la balle en tant que travailleur-électeur-consommateur ou, plus simplement, en tant que citoyen vivant dans une société humaine, est-il une malédiction éternelle (ou jusqu’à l’extinction du genre humain)?
La réponse semble a priori guère optimiste.
Pourquoi, alors que l’être humain fonctionne de cette manière depuis toujours, changerions nous ?
Cependant, au cours de l’Histoire et même si des civilisations sont mortes du fait de l’inconséquence des comportements humains, nous sommes aujourd’hui confrontés à un véritable défi quant à notre finitude.
En effet, grâce aux progrès de la connaissance et de la science, aujourd’hui, nous savons.
Car même si le pire n’est pas sûr, nous sommes capables de faire un état des lieux que nos ancêtres n’étaient pas outillés pour le faire ainsi que des projections sur ce qui peut advenir avec la masse des données que nous pouvons collectées.
Cela nous donne un avantage énorme sur nos prédécesseurs, encore faut-il que nous soyons assez responsables pour en profiter.
Là aussi, une réponse peu optimiste semble s’imposer face à notre irresponsabilité criante.
Celle-ci se manifeste par la volonté de faire d’abord triompher nos intérêts personnels à court terme avant de nous préoccuper de ceux de notre avenir et de notre descendance.
Il faut dire que nous sommes sûrs d’être là, vivant, dans ce moment précis, mais peut-être pas dans celui d’après…
Bien sûr, si on interroge les gens sur le degré d’implication dans les défis existentiels qui sont là ou se profilent, ils répondront, comme les sondages en attestent, qu’ils sont fort inquiets et qu’il faut agir.
Mais quand vient l’action, tout cette bonne volonté s’étiolent et n’en restent que quelques uns qui, malgré ce que pensait l’écrivain américain Henry Miller, ne seront pas assez nombreux pour changer le monde en bien.
On le voit bien aussi dans les réformes – dont on ne rappellera jamais assez qu’elles sont indispensables, un pays immobile est un pays qui meurt – où, dans les principes, tout le monde semble d’accord mais où dans l’application de ceux-ci, beaucoup de monde est opposé.
Tout ceci nous démontre que nous n’agissons réellement que contraints et forcés.
C’est malheureux mais c’est une réalité.
Dès lors, il faut bien qu’il y ait, ce que l’on pourrait appeler des éveilleurs de conscience ou tout simplement des lanceurs d’alerte qui viennent nous donner des coups de pied dans les fesses pour que nous bougions et agissions.
Et ces éveilleurs se retrouvent le plus souvent impopulaires et rejetés quand ils prennent des décisions alors que dans les démocraties, ils ont été élus pour les prendre (on retrouve là toute la contradiction dont je parle depuis le début).
Ce qui n’est évidemment pas une situation facile, ni même voulue car l’individu recherche d’abord à être aimé de ses semblables, non à être cloué au pilori.
D’où, d’ailleurs, de nombreux reniements de la part de ces responsables politiques qui fuient, tout autant, contre la difficulté que contre le désamour.
Sur tout cela s’ajoute une autre réalité bien plus insoluble, celle qui fait que dans les trois-quarts des pays de la planète, la majorité des habitants veulent seulement vivre au jour le jour et sont prêts à tout pour y parvenir, surtout en ne se souciant pas vraiment de l’avenir de la planète alors même qu’ils n’en ont aucun.
Alors, bien sûr, comme le disent certains, ils sont aussi, voire les principales, victimes des problèmes qu’il faut résoudre et, sans doute, les principaux bénéficiaires de réformes qu’il faut mettre en place.
Mais aucun beau discours sur le sujet ne changera pas leur unique but: survivre.
Du coup, le progrès technologique reprend une place centrale dans les solutions à trouver pour nous garantir un avenir meilleur.
Un progrès technologique que l’on peut également utiliser pour résoudre, en partie, l’opposition travailleur-consommateur-électeur dans nos contrées.
Pour autant,  ce progrès ne peut pas tout malgré ce que certains affirment (souvent dans un discours quasiment métaphysique où, tel un messie, il viendrait nous sauver de nos inconséquences) c’est bien dans les décisions responsables et souvent difficiles que se trouvent une grande partie des solutions.
Et point de reculade.
Ce n’est plus une option.
Le Centrisme, qui prône le juste équilibre, la réforme permanente (comme mise à niveau par rapport à la réalité de la vie et non par rapport à tel ou tel lobby comme on peut l’entendre) et la responsabilité, est la pensée de ce changement du monde (et non d’un changement de monde autant utopique que recélant des dangers énormes), le tout dans le respect de la dignité humaine.
Mais, pour que cela marche, il faut un personnel politique à la hauteur de la tâche.
Et, pour l’avoir, il faut aussi que les populations soient à la hauteur de la leur.
Car, au lieu de prendre le réformateur pour le bouc-émissaire de tout ce qui va mal, il conviendrait plutôt d’accompagner les réformes nécessaires et indispensables avant que les faits nous obligent à leur obéir avec ce temps de retard qui peut ne jamais être rattrapé.
Oui, les civilisations meurent mais aussi les espèces vivantes.
Ne soyons pas l’une d’elles.
De notre propre faute.

Alexandre Vatimbella