dimanche 30 janvier 2022

Le combat politique gauche-droite supplanté en ce début de 3e millénaire par celui entre les pros et les antis démocratie

Que les tenants du clivage Gauche-Centre-Droite se rassurent, celui-ci n’est pas prêt de mourir et sera sans doute, à nouveau, dans un avenir plus ou moins proche, celui qui définit les enjeux du débat partisan dans les démocraties, tout simplement parce que c’est lui qui caractérise le mieux dans la sphère politique ce que sont les humains dans leur diversité avec les différences de vision sur ce qui fait société et qui régit en la matière leurs comportements individuels.

Mais ils se trompent en croyant qu’il est, présentement, celui qui est au cœur  du combat politique et qui le structure dans ses oppositions et ses divisions.

De même pour ceux qui affirment que la nouvelle fracture se situe dans le divorce entre les citadins des grandes villes et les ruraux, entre les grands pôles urbains et les périphéries.

Non pas que celle-ci n’existe pas et ne doit pas retenir l’attention mais elle n’est pas, non plus, la plus prégnante et, surtout, la plus chargée de dangers pour l’existence de la démocratie.

Quant aux sondages qui disent que les populations soutiennent le régime de la démocratie, encore faut-il savoir ce que les personnes interrogées mettent derrière le concept et de constater que de plus en plus d’entre elles estiment qu’un gouvernement d’expert, le pouvoir d’un chef unique et la gestion militaire du pays seraient une bonne chose.

D’autant que pour beaucoup de ceux qui déclarent être des adeptes de la démocratie, estiment en réalité que les droits et le respect qui émanent de son fonctionnement leur sont dus uniquement à eux, les vrais défenseurs celle-ci, et certainement pas à ceux qui ne pensent pas comme eux, les traitres qui la dévoient, comme le montrent les revendications et les comportements des mouvements de foule populistes.

Et lorsque des élections ont lieu dans les pays démocratiques, les forces réactionnaires et hostiles à la démocratie sont à des hauteurs élevées.

Parce que l’affrontement qui se renforce, devient de plus en plus omniprésent et qui va sans doute majoritairement dominer la conversation publique est celui entre les pros et les antis démocratie.

Il n’est évidemment pas nouveau et n’a sans doute pas vocation à être indéfiniment celui qui détermine principalement le débat politique mais il est en tout cas celui qui s’installe comme incontournable pour un certains temps.

Et ceux qui prétendent qu’actuellement, en ce début de troisième millénaire, il n’est pas le structurant essentiel de l’urgence du combat primordial qui doit animer tous les démocrates d’aujourd’hui sont en train de sortir de l’Histoire, pire, en minorant son poids de remettre les clés de la démocratie républicaine aux extrémistes, aux radicaux et aux populistes, en un mot, à ses ennemis qui ne rêvent que de l’abattre.

A certaines époques de l’Histoire, il y a des choix existentiels qui s’imposent et qui se situent au-dessus et au-delà de ceux que l’on fait dans l’ordinaire de notre existence.

Ainsi se sont retrouvés dans la Résistance française au nazisme des femmes et des hommes qui n’avaient pas les mêmes étiquettes politiques mais qui savaient où étaient le mal absolu qu’il fallait éradiquer.

Et c’est bien à une nouvelle résistance que sont conviés tous les défenseurs de la démocratie républicaine.

Alexandre Vatimbella

samedi 22 janvier 2022

Trop de mots, pas assez d’idées dans le discours politique

Dans le discours politique, on entend trop souvent une litanie de mots qui forment peu d’idées.

Ces mots sont souvent des opinions à l’emporte-pièce voire des attaques et des polémiques face à ce que l’on combat et non des plaidoyers pour ce pourquoi on combat.

Cette perversion n’est pas inhérente à l’essence de la politique même si elle en fait partie et si elle était utilisée avec réserve, parcimonie, responsabilité et respect, elle ne serait plus condamnable, au contraire, serait une caractéristique acceptable de l’engagement idéologique ou partisan qui peut s’exprimer avec panache, pugnacité et ardeur.

On dit souvent que l’agressivité et l’insulte sont les armes de ceux qui manquent d’arguments raisonnables voire d’arguments tout court.

Si l’on peut évidemment exprimer ses sentiments de manière forte voire ostentatoire lorsque des événements nous touchent particulièrement ou en regard de déclarations que l’on estime inappropriées voire scélérates, le discours uniquement passionnel révèle trop souvent l’inaptitude à gouverner celui ou celle qui se fait dominer par ses affects étant entendu que ceux-ci ne sauraient être absents de son engagement politique.

Cependant, exprimer ses sentiments n’est pas du tout antinomique d’un corpus où domine les idées, les projets et les programmes qui privilégient le fond à la forme, dont la substance est avant tout politique et ne ressort pas d’un spectacle grand-guignolesque, qui privilégie l’agir et non le réagir.

La maturité de la sphère politique n’a jamais vraiment été atteinte et ne le sera peut-être jamais avec ce retour constant des passions négatives et noires où l’irrationnel domine le rationnel, où l’imagination prend le pas sur le réel, où le populisme et la démagogie l’emportent sur les valeurs humanistes.

Pour que cela survienne, il faudrait, à la fois, un personnel politique compétent et responsable et une population bien formé et informée ainsi que responsable et respectueuse.

Or, nous n’avons majoritairement ni l’un, ni l‘autre en ce début de troisième millénaire malgré l’âge conséquence de la démocratie moderne, presque 250 ans.

Dès lors les mots débités sans sens, sans profondeur, sans attachement au réel envahissent l’espace public et la sphère politique et noient littéralement les idées et leurs applications concrètes.

Y a-t-il un moyen de sortir de cette ornière?

A court-terme, cela semble bien peu possible et engendre une possible conséquence dramatique avec la chute de la démocratie face aux coups de boutoir extrémistes et populistes qui n’est plus du domaine de la fantasmagorie.

En revanche, à moyen et long-terme, on peut être plus optimiste car à moins de considérer l’espèce humaine comme un agrégat d’imbéciles et de crétins notoires par essence, la formation d’un citoyen responsable, respectueux de la dignité de l’autre et bien informé est possible si l’on s’en donne la capacité réelle, ce qui n’a jamais été le cas jusqu’à présent.

C’est d’ailleurs l’ambition de toujours de la démocratie républicaine qui ne peut exister sans ce citoyen.

Pourquoi ne l’a-t-on pas atteint encore?

Parce que si des moyens conséquents ont été accordés à cette tâche dans nombre de pays du monde, ils n’ont jamais été à la hauteur du défi qui est posée à ce régime de liberté, d’égalité, de fraternité et de respect.

Tant que l’on n’aura pas engagé une mobilisation de tous les instants, rien ne changera et peu évoluera.

Si les régimes autoritaires et totalitaires n’ont besoin que d’individus à qui l’on sert un discours propagandiste où les mots claquent pour mieux les endoctriner, les tenir en laisse et les museler avec, à la rescousse, un appareil répressif d’une violence extrême en leur rappelant qu’ils n’ont que des devoirs et pas de droits, le projet démocratique est exactement le contraire, permettre à toutes les personnes de devenir des citoyens à part entière avec l’égalité dans la liberté, donc des droits qui leur permettent d’être responsables de leurs projets de vie avec, en retour, dans une sorte de donnant-donnant et de gagnant-gagnant, des devoirs envers la communauté et l’autre.

Un projet bien plus puissant mais qui nécessite l’adhésion effective de ceux qu’il veut émanciper

C’est pourquoi, le jour où le fond aura enfin pris le dessus de la forme dans le discours politique – avec toutes les réactions en chaîne que cela produira –, alors nous seront proches de l’idéal démocratique.

 

Alexandre Vatimbella

 

dimanche 16 janvier 2022

Du diplôme de citoyen

Dans le premier ouvrage politique qu’il ait publié en 1786, «De l’influence de la révolution d’Amérique sur l’Europe», Condorcet définit les droits humains comme émanant tous de la «sûreté de la personne» qui puisse, dans l’égalité, exercer sa liberté.

Cela comprend, selon lui, «le droit de contribuer soit immédiatement, soit par des représentants à la confection des lois et à tous les actes faits au nom de la société», «conséquence nécessaire de l’égalité naturelle et primitive de l’humain».

Mais il précise que «l’on doit regarder une jouissance égale de ce droit pour chaque humain usant de sa raison comme le terme duquel on doit chercher à se rapprocher».

Et il ajoute immédiatement que «tant que l’on ne l’a pas atteint, on ne peut pas dire que les citoyens jouissent de ce dernier droit dans toute son étendue.»

«Des républicains zélés, continue-t-il, l’ont regardé comme le premier de tous, et il est vrai sans doute que dans une nation éclairée, dégagée de toute superstition où il appartiendrait en réalité à tout citoyen qui pourrait ou voudrait l’exercer, la jouissance de ce droit assurerait celles de tous les autres. Mais il perd ses avantages les plus précieux, si l’ignorance, si les préjugés écartent ceux qui doivent l’exercer du sentier étroit que la règle immuable de la justice leur a tracé (…).»

Et de constater que «dans une société très nombreuse, il doit arriver presque nécessairement que ce droit se trouve presque nul pour le plus grand nombre des habitants d’un pays».

Parlant pour son époque, la fin du 18e siècle, celui qui fut un ardent défenseur et promoteur de l’école pour tous afin de permettre aux individus de devenir des citoyens à part entière par une formation qui leur permettrait d’utiliser et d’exercer leurs droits en toute connaissance de cause et en toute responsabilité, Condorcet fait un constat que l’on peut encore faire, en partie, à notre époque.

En effet, combien de personnes, même dans les démocraties les plus anciennes et les plus avancées, sont réellement capables d’exercer leurs droits de citoyens et donc leurs devoirs, les uns n’allant pas sans les autres?

Certainement beaucoup plus que dans les années précédant la Révolution française mais nous sommes sans doute loin encore d’un pourcentage de 100%.

Or, on le sait, la démocratie ne peut fonctionner qu’avec une population bien formée et informée.

Sans remettre aucunement en cause l’universalité des valeurs, principes et règles de la démocratie, l’instauration d’un diplôme du citoyen délivrée par l’école (ou par une institution pour ceux qui seraient déscolarisés ou pour les étrangers naturalisés) semble aujourd’hui nécessaire voire indispensable, non pas pour priver certains de leurs droits mais pour que tous puissent l’exercer avec une connaissance minimum de la démocratie et de son fonctionnement, sachant que si la liberté de l’humain est «naturelle» (c’est-à-dire consubstantielle à la qualité d’humain), la démocratie est une construction culturelle qui a besoin d’être comprise pour bien être appliquée.

Délivré lors d’un examen après un suivi de cours d’éducation civique, il consisterait à vérifier que toute personne qui serait candidate à son obtention sait lire, écrire et compter mais aussi comprend des notions comme la liberté, l’égalité, l’élection de représentants, la protection de la minorité, le respect de la dignité de l’autre, l’Etat de droit.

Examen basique et simple mais néanmoins sanctionnant un savoir minimum pour exercer ses droits de citoyen et qui ferait que tout détenteur de ce diplôme serait inscrit automatiquement sur les listes électorales et recevrait des informations à périodes répétées sur la démocratie et son fonctionnement.

Il ne s’agit pas d’établir, comme dans les Etats du Sud des Etats-Unis au temps de la ségrégation, des barrières au droit de vote – qui consistaient alors à faire passer des examens surréalistes à la population noire afin de l’empêcher de l’exercer et ainsi de l’exclure de fait de la citoyenneté – mais seulement de former dans une école gratuite et obligatoire les futurs citoyens.

Ceux qui ne réussiraient pas l’examen ou qui ne voudraient pas le passer, bénéficieraient évidemment des mêmes droits que tous les diplômés à l’exclusion du droit de vote dans l’attente de le passer ou de le repasser, ce qu’ils pourraient faire à tout moment.

Une instance indépendante serait instituée pour mettre en place le contenu de l’examen – avec tous les spécialistes de toutes les disciplines requises pour qu’il soit le plus juste et le mieux adapté – et pour contrôler la bonne application des règles voire pour intervenir afin de faire cesser tout détournement et abus en la matière.

Ses décisions pourraient bien entendu être contestées devant la justice.

Loin de limiter la démocratie, le diplôme serait la base, à la fois, de son approfondissement et son extension mais, en premier et tout simplement, serait le garant de son bon fonctionnement grâce à des individus capables de comprendre les enjeux de leur citoyenneté et leur responsabilité en la matière pour eux et leurs proches ainsi que pour les autres.

Nous voyons bien après près de 250 ans de fonctionnement de la démocratie (les Etats-Unis devinrent une nation indépendante et démocratique en 1783 lors du Traité de Paris) dans au moins un des pays du monde, nous n’avons pas réussi le pari de former l’ensemble des populations du monde libre à être des citoyens éveillés et responsables sans qui cette même démocratie demeure un projet inachevé voire une chimère.

Et nous ne pouvons attendre indéfiniment que par un miracle venu d’on ne sait où, ces populations acquièrent le savoir si on ne leur dispense pas et si on ne le vérifie pas au moins une fois dans l’existence de chacun.

J’ajoute que ce diplôme fait partie d’un plus vaste dessein où entre également la création d’un service public de l’information libre, indépendant, gratuit, déontologiquement inattaquable qui informerait le citoyen afin de lui permettre d’être suffisamment éclairé pour choisir ses représentants et pour contrôler leur action ainsi que pour être capable de comprendre le monde dans lequel il vit afin d’être un acteur responsable de sa vie.

Sans oublier, l’enseignement de l’Histoire à un tout autre niveau qu’aujourd’hui car, comme le disait l’historien Marc Bloch, «l’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent: elle compromet, dans le présent, l’action même».

Vaste chantier, donc, que de permettre à chacun d’être le citoyen qu’il mérite d’être pour réaliser au mieux son projet de vie tout en respectant la dignité de l’autre et son projet personnel, le tout dans une vie commune où tous se conforment aux règles du vivre bien ensemble.

Mais entreprise essentielle et incontournable pour que vive longtemps la démocratie.

 

Alexandre Vatimbella

 

 

lundi 3 janvier 2022

Monsieur Xi, agissez comme les préceptes de Confucius au lieu de l’instrumentaliser

Le confucianisme est-il aussi peu fidèle à maître Kong que le christianisme à Jésus?

Cette question n’est pas nouvelle mais avec l’impudique réappropriation du confucianisme par le Parti communiste de Xi Jinping pour servir la cause de son totalitarisme maquillé en «rêve chinois» et en «harmonie», il faut à nouveau y répondre.

Déjà, la dynastie des Han il y a deux mille ans avait procédé à de similaires manipulations afin de servir les intérêts d’un empire qui voulait asservir son peuple.

Avec cette nouvelle lecture éminemment critiquable de son œuvre, Confucius (ou Kongfuzi pour les Chinois) est redevenu une icône des hiérarques au pouvoir à Pékin après avoir été pratiquement jeté aux oubliettes de l’Histoire par leurs prédécesseurs, notamment Mao pourtant modèle ultime de monsieur Xi…

Suite à l’instrumentalisation de sa pensée par les différents régimes qui se sont présentés comme ses «disciples», il faut faire la part des choses entre celle-ci et le «confucianisme» officiel comme il est nécessaire de le faire avec les églises qui se disent «chrétiennes», qui souvent interprètent de manière très lointaine les préceptes de Jésus, et dans la doctrine, et dans l’agir.

Il faut évidemment qualifier et replacer la pensée de Kongfuzi dans la réalité de son époque si l’on veut en comprendre certaines caractéristiques, c’est-à-dire une Chine où la violence, les guerres et l’arbitraire régnaient en maître et où l’humain en tant qu’individu et collectif comptait pour peu voire rien du tout.

Une des tâche que s’était assigné le penseur était de conseiller les puissants afin qu’ils deviennent responsables et qu’au lieu de se battre continuellement les uns contre les autres avec comme conséquence des massacres de population, de la famine et une désorganisation de l’Etat et de l’économie, ils gouvernent avec la sagesse requise.

C’est pourquoi, pour lui, la stabilité de l’Etat et la sécurité du peuple passaient en premier et qu’il fallait que, du haut en bas de la société, une discipline s’instaure.

Ayant dit cela le message de Kongfuzi est d’abord et avant tout éminemment humaniste et proto-centriste, loin des pratiques des régimes qui l’ont revendiqué en le vidant de son sens.

En plaçant le respect de la dignité humaine comme valeur suprême du devoir de l’«homme de bien» et faisant d’une gouvernance du «milieu juste et constant» le «bien suprême», il est proche de la philosophie du Centrisme et très éloigné de toute idéologie totalitaire.

D’autant que, pour lui, tout dirigeant qui n’est pas capable de maintenir le «juste milieu», c’est-à-dire de gouverner avec la «vertu de la grande mesure», chose la «plus élevée», qui est de savoir qu’«aller trop loin ne vaut guère mieux que pas assez», peut être révoqué par le peuple.

Comme l’explique la grande spécialiste de la Chine, Anne Cheng dans son ouvrage de référence «Histoire de la pensée chinoise», ce juste milieu est une «exigence d’équilibre, d’équité et de mesure qui ne cède jamais à l’impulsif, à l’excessif, à l’intérêt immédiat, au calcul partial, à la fantaisie du moment ou au cynisme, autant de penchants qui ruinent toute possibilité de vie fiable et durable».

Anne Cheng qui estime même que la pensée confucéenne est une recherche d’un  idéal d’un monde «s’harmonisant et s’équilibrant de lui-même» qui rendrait inutile tout gouvernement centralisé.

On est bien loin du totalitarisme de monsieur Xi!

D’autant qu’un des combats de Kongfuzi résonne particulièrement en ces temps où les extrémistes et les populistes, les despotes et les autocrates tentent d’enfumer le débat politique par des fake news et des théories élucubrationistes (complotistes).

Ainsi, le penseur chinois faisait de la «rectification» des noms une condition indispensable au bon gouvernement:

«Si les noms sont incorrects, on ne peut tenir un discours cohérent. Si le langage est incohérent, les affaires ne peuvent se régler. (…) Voilà pourquoi l’homme de bien n’use des noms que s’ils impliquent un discours cohérent et en tient de discours que s’il débouche sur la pratique. Voilà pourquoi l’homme de bien est si prudent dans ce qu’il dit.»

Au lieu d’écouter tous ceux qui veulent utiliser Kongfuzi pour leurs propres ambitions, allons donc à la source et combattons leurs prétentions à établir un monde fermé et oppressif, allons à la source de sa pensée, à son rêve chinois qui a une bien autre dimension et ambition que la, dictature proposée par le maître actuel de Pékin.

Alexandre Vatimbella