samedi 22 février 2020

Médias, maillon faible de la démocratie?

Sans médias libres pas de démocratie.
Mais sans médias responsables, pas de démocratie aussi.
D’où un problème récurrent pour la démocratie d’avoir des médias aussi libres que possible et aussi responsables que nécessaires, c'est-à-dire en les laissant libres de faire ce qu’ils veulent et en espérant qu’ils soient le plus responsable possible.
Ici, le lecteur ne doit pas faire une erreur d’interprétation.
Je ne parle pas de la responsabilité judiciaire des médias qui permet à tous ceux qui estiment avoir été diffamés ou accusés à tort par des organes de presse d’aller demander réparation et condamnation devant les tribunaux.
La responsabilité n’est même pas celle d’un code de déontologie dont on connait la propension des journalistes de s’abriter derrière ses règles pour justifier tout et n’importe quoi, celle dont je parle est la responsabilité face à la mission de la presse qui justifie sa liberté: informer l’individu pour qu’il soit un citoyen averti et capable d’agir en toute connaissance de cause.
Or, si l’on regarde ce qui se passe dans la plupart des démocraties de la planète, on en est loin.
Avant de développer, il est évident que les trois pouvoirs institutionnels, garants de l’exercice concret de la démocratie, l’exécutif, le législatif et le judiciaire connaissent eux aussi parfois des dérives dangereuses et inacceptables.
Mais, à la différence des médias, ils ont des règles strictes de fonctionnement, se contrôlent l’un l’autre et sont redevables devant les citoyens par l’élection.
On peut donc les censurer pour avoir failli vis-à-vis de la démocratie.
Les médias, eux, qui sont pourtant le «quatrième pouvoir», certes informel mais bien réel et même revendiqué, n’ont pas à rendre ce genre de compte quand ils faillissent à leur mission d’informer et c’est tant mieux pour la liberté d’opinion.
En revanche, c’est tant pis pour l’information citoyenne, celle qui permet à la démocratie de fonctionner correctement.
Car sans citoyen bien informé (et formé), la démocratie demeure formelle puisque celui-ci ne prend ses décisions que sur des informations qui sont souvent biaisées, instrumentalisées voire fausses.
Cette réalité vient en partie de ce que toutes les opinions peuvent s’exprimer ce qui permet à certaines idéologies populistes, autoritaires ou dictatoriales de faire de la simple propagande déguisée en information (ce que l’on appelle aujourd’hui fake news ou infox…).
L’autre partie est que les médias sont des entreprises commerciales ou vivent dans un environnement concurrentiel.
Dès lors pour faire des profits ou simplement pour survivre, elles doivent appâter le chaland en créant eux-mêmes l’événement ou en l’enrobant jusqu’à la nausée de couches de clinquant.
Une pratique aussi vieille que la presse mais qui a pris des proportions démesurées avec l’apparition des médias d’information continue 24 heures sur 24.
Deux mesures sont pourtant à même de réduire cette problématique que l’on ne pourra jamais régler définitivement, l’éradication de rumeurs, de mensonges, de «on-dit» et autres moyens de tromper le citoyen n’étant guère possible à 100%.
La première est l’existence d’un vrai service public de l’information qui n’existe aujourd’hui dans aucune démocratie.
La deuxième est la formation de l’individu aux médias afin qu’il puisse avoir un regard critique sur l’information qu’ils délivrent, qu’il puisse la décoder efficacement zet non qu’il en soit tributaire de manière mécanique et passive.
Ces deux mesures sont essentielle pour que le citoyen se fasse une opinion personnelle qui lui permette d’agir en toute connaissance de cause (ou en meilleure connaissance de cause qu’il puisse le faire) pour ses intérêts et ceux de la communauté dans laquelle il vit.
J’ai déjà évoqué plusieurs fois ce que devraient être un service public vraiment indépendant, à la fois, du pouvoir en place et des idéologies partisanes et de la structure indépendante qui devrait être à sa base avec un contrôle citoyen constant et strict.
Quant à la formation des citoyens aux médias, elle est beaucoup trop confidentielle et limitée actuellement pour leur permettre un décodage utile et nécessaire.
Enfin, il est bien clair que ce n’est pas en rabotant la liberté d’expression, donc la liberté d’opinion, donc la liberté de la presse que l’on règlera le problème.
C’est en offrant une alternative crédible, un complément nécessaire, une source honnête à un citoyen bien formé que l’on pourra faire en sorte que les médias soient ce qu’ils auraient du être depuis le début de la démocratie, son maillon fort.

Alexandre Vatimbella

vendredi 21 février 2020

La démocratie, plus belle ou pire des choses?

Quand les règles de la démocratie sont utilisées à bons escient pour assurer la liberté dans l’égalité, pour progresser dans l’émancipation de chacun dans le cadre d’une communauté solidaire et respectueuse qui en bénéficie tout autant que l’individu, c’est certainement le plus beau système politique qui puisse exister.
Mais quand ces mêmes règles sont utilisées pour des buts essentiellement égoïste et clientéliste, d’opposition des uns contre les autres, quand la liberté d’expression est instrumentalisée et devient une arme pour menacer l’autre et lui dénier sa propre liberté de parole, quand on justifie l’insulte et la violence comme modes d’expression légitimes alors qu’elles nient l’existence même des valeurs démocratiques que l’on prétend défendre par leur utilisation, alors elle devient un des pires systèmes de gouvernement parce qu’elle dévoile les travers les plus exécrables et les plus hideux des individus avec cet effet boule e neige qui peut devenir terrifiant.
Si l’on ne doit pas passer sous silence les succès évidents de la démocratie, il convient, tout autant de ne pas se taire sur ses dérives.
Et ici, je ne parle même pas de la plus extrême, celle qui a permis, en toute légalité «démocratique» de permettre à des dictateurs de prendre le pouvoir par les urnes…
La démocratie est un système de gouvernement qui a des objectifs bien précis: la liberté, l’égalité, la solidarité (fraternité), la tolérance, le respect de la dignité de chacun par un gouvernement élu par la majorité des citoyens et dont un des devoirs est de protéger les droits de la minorité, le tout dans la sécurité et la paix civile.
Cette mission ne peut être réalisée qu’avec la participation et l’adhésion des citoyens.
Or ce qui fait la beauté de ce système est ce qui en fait aussi sa faiblesse parce que les citoyens, s’ils sont garants de ses bienfaits, sont également les complices de ses éventuelles dérives et perversion, soit directement par un activisme et des comportements qui instrumentalisent les bienfaits pour en faire des outils contre les valeurs mêmes de la démocratie, soit de manière indirecte en laissant faire (et parfois en les soutenant) des groupes subversifs qui s’attaquent frontalement ou dans l’ombre à ces mêmes valeurs.
Parce que si la démocratie est légitime à revendiquer d’être le régime «naturel», c'est-à-dire celui qui possède la légitimité ultime d’être le modèle de gouvernement des humains, sa construction culturelle est une lutte contre ce qui est le plus négatif de la nature humaine.
Ici, j’utilise l’adjectif «naturel» à la manière de Locke et des libéraux: la démocratie est «naturelle» parce que c’est elle qui est le mieux à même de réaliser les projets de vie des individus dans le cadre du meilleur projet de vie collectif.
Mais l’on comprend bien qu’elle est, dans les faits, totalement et complètement à la merci des «humeurs» de ses garants, c'est-à-dire les citoyens.
Ceux-ci, en tant qu’entités créatrices légitimes de la démocratie sont à même de l’appliquer correctement ou de la dénaturer, voire de la supprimer.
Or, la dénaturation et la suppression ne devraient pas être possibles si la démocratie est le régime naturel par excellence, parce qu’il doit s’appliquer quel que soit l’envie ou la volonté des citoyens.
On touche là à une des fragilités constitutives de la démocratie, sa dépendance au bon vouloir de ses garants alors même qu’elle doit pouvoir garantir à chacun de ses membres le respect de ses valeurs quel que soit la volonté d’une majorité, fut-elle de tous moins un, voire même de tous au regard des générations futures.
Mais comment faire autrement que de donner le pouvoir aux garants qui sont en même temps les bénéficiaires du système démocratique?
Si ces garants-bénéficiaires ne la soutiennent plus, aucune loi, aucune action, aucune résistance n’est réellement possible devant l’intention majoritaire ou unanime de l’abattre, que ce soit dans les urnes ou par la violence.
De même, de la laisser en vie et de s’en servir contre les valeurs mêmes qu’elle défend comme cela s’est déjà produit dans l’Histoire.
Que faire alors afin de permettre que le meilleur système n’accouche pas d’un monstre comme ce fut le cas en Allemagne en 1933 ou qu’il devienne une «dictacratie», ce mélange de régime autoritaire, de pratiques populistes et de résidus de mécanismes démocratiques (que d’autres appellent, improprement selon moi, «démocrature»)?
Retirer le pouvoir au «peuple», en tant qu’entité qui incarne ceux qui bénéficient de la démocratie et qui en sont les garants n’est évidemment pas possible même si cela serait souhaitable lors d’épisodes critiques comme celui que je viens de citer.
Nous devons donc accepter la fragilité et la faiblesse inhérente à la démocratie, savoir qu’elle est le meilleur régime et que son dévoiement tourne rapidement au cauchemar.
Mais cette acceptation n’est pas et ne doit pas être renoncement.
Ainsi, la démocratie nécessite et nécessitera toujours un activisme constant pour la défendre.
Une des grandes erreurs de beaucoup de ses défenseurs et de ses prosélytes a été de croire que les bienfaits de la démocratie en feraient un système indestructible «par nature».
Rien n’est plus faux
Dans leur analyse, ils avaient plus ou moins complètement oublié que la liberté est un état qui nécessite la prise en charge par chaque individu de la responsabilité de sa vie (en prenant les décisions qui vont, en partie, en faire ce qu’elle va devenir) et celle de ses actes vis-à-vis d’autrui.
Or, nombre de gens ne veulent pas de cette double responsabilité qui les oblige et préfère le «cocon» de l’incapacité et de la débilité tout en revendiquant malgré tout d’être le centre du monde et de bénéficier entièrement des bienfaits sans en accepter les obligations inhérentes qui y sont attachées.
Dès lors, tout en sachant que le pire est toujours possible mais pas forcément inévitable, tous ceux qui défendent la démocratie doivent faire en sorte de la promouvoir constamment, de la solidifier par la loi et par des mesures concrètes comme la constante élévation du niveau culturel des populations et, surtout, dans la réalisation effective des promesses contenues dans ses valeurs tout en étant conscients que tout interférence inhérente à la vie sur Terre sera généralement portée au passif de cette démocratie par ses garants, le peuple.
Si la démocratie est ce gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, elle ne doit jamais être laissée au bon vouloir du peuple et à ses humeurs.
Plus facile à dire qu’à faire mais si l’on y parvient et pour répondre à notre question, alors la démocratie est la plus belle chose.
Mais que la route semble encore longue.

Alexandre Vatimbella

dimanche 16 février 2020

Quand les médias ne relatent plus les événements mais les créent eux mêmes

Ce n’est pas du domaine des «fake news» mais cela peut être aussi dangereux, voire plus, puisque cela concerne des médias qui devraient normalement dire la «vérité» ou, en tout cas, la réalité et non des officines ou des particuliers dont le but est de répandre des mensonges pour déstabiliser la démocratie.
De quoi s’agit-il?
A partir d’un fait plus ou moins mineur – voire d’une suspicion d’un fait, voire d’une simple rumeur d’un fait, voire même d’une information que l’on sait erronée ou que, tout simplement, on a inventé!) –, nombre de médias créent des événements qui n’en sont pas et donnent de la visibilité à quelque chose qui n’en avait pas la légitimité au regard de ce qu’est, a priori, la mission des journalistes, plus sûrement du journalisme.
Même si cette propension existait déjà par le passé, elle a pris des proportions critiques et dangereuses pour le fonctionnement de la démocratie.
Pourquoi ce phénomène?
Parce que dans un secteur fortement concurrentiel où il n’y a pas de place pour tout le monde (que ce soit pour les chaines d’information en continu, les quotidiens, les sites internet, etc.), il vaut mieux être constamment sous les projecteurs en diffusant de l’infontainement (information-spectacle) plutôt que de demeurer dans l’ombre en s’attelant à publier de l’information sérieuse.
Mais l’entreprise peut aussi être en même temps idéologique, voire simplement idéologique de la part de la presse d’opinion.
Dans ce dernier cas, on retrouve, en partie, le profil de la «fake news» ou, plus trivialement, de la propagande.
Or donc, pour être le centre du monde et faire le buzz, le mieux est de créer soi-même l’évènement dans le fond et dans la forme.
Parce qu’au lieu d’attendre l’événement et de partager sa diffusion avec d’autres, on est alors le seul à focaliser l’attention et la seule source où le public peut prendre connaissance de l’«événement».
On va ainsi dramatiser la situation, la romancer, faire du «storytelling» et on va l’habiller avec des titres accrocheurs et emphatiques et la mettre en avant, à la Une avec une place démesurée dans le temps ou la longueur qui lui est consacré.
Un des exemples récents les plus frappants ont été ces longs tunnels avec des bandeaux anxiogènes et racoleurs que les chaines d’info en continu ont consacrés au mouvement de foule des gilets jaunes même quand celui-ci ne concernait que des défilés de quelques centaines, voire quelques dizaines d’individus.
Mais c’est aussi ces titres de la presse écrite qui ne correspondent absolument pas à la réalité de l’événement relaté, voire même au contenu de l’article, pratique dénoncée par ceux-là même qui écrivent ou sont interviewés dans les articles en question…
La création d’événement doit également être reliée à l’apparition d’internet et à la bataille qui fait rage depuis entre la toile (en particulier les réseaux sociaux et les blogs) et la presse traditionnelle pour attirer le chaland.
Partant avec un lourd handicap dans ce domaine, la presse écrite a largement adopté largement les codes de (in)conduite du web et sa capacité manifeste à créer de manière artificielle le buzz.
Sans oublier que beaucoup de ceux qui travaillent désormais dans les médias ont été élevés et nourris avec ce même web quand ils n’ont pas commencé leur carrière professionnelle sur les sites internet et les réseaux sociaux ou en tenant un blog.
Tout cela se fait évidemment au détriment de l’information citoyenne, celle qui doit permettre à chacun de nous d’être capables de prendre des décisions en toute connaissance de cause.
Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de solution à cette dérive et il n’y en aura peut-être jamais parce que la liberté d’opinion donc d’expression donc de la presse est consubstantielle avec l’existence de la démocratie.
Dire à la presse ce qu’elle doit dire et comment elle doit le dire n’est pas une option.
Bien sûr, quand l’événement est inventé de toute pièce ou quand il met en cause faussement des gens ou des organisations, les tribunaux peuvent agir mais ils ne sauraient, sans risque pour la liberté, dire ce qui doit être mis en une et de quelle manière telle information doit être traitée.
On ne peut pas, non plus, attendre quoi que ce soit d’un code de conduite initiée par les médias et dont on sait qu’il ne serait jamais appliqué par une partie d’entre eux.
Reste à renforcer le plus possible le service public d’information.
D’abord pour en faire un vrai service public.
Ensuite pour qu’il remplisse sa mission d’informer le citoyen du mieux possible sans être entrainé dans les dérives d’une information-spectacle ou une information-propagande.
Aujourd’hui, ce service public joue exactement avec les mêmes codes que tous les autres médias et a parfois des comportements pires ceux des entreprises commerciales que sont les médias privés.
La problématique décrite ici fait partie d’une question plus large du fonctionnement des médias dans une démocratie où la vigilance doit être constante pour assurer leur liberté mais aussi pour empêcher leurs dérives.
Voilà qui n’est pas une mince affaire.

Alexandre Vatimbella


lundi 10 février 2020

Et si les pères de la démocratie nous avaient cru plus intelligents que nous ne le sommes?


L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. Et si les pères de la démocratie nous avaient cru plus intelligents que nous ne le sommes?
Les populistes démagogues le répètent sans modération, dans une litanie qui a fait leur succès:
«Les puissants, les gens de la haute vous méprisent, vous prennent pour des imbéciles, vous roulent dans la farine grâce à ce régime de la démocratie qui n’est en fait qu’un moyen de leur domination, qu’un leurre pour vous amadouer.»
Ces diatribes antidémocratiques sont aussi vieilles que l’établissement de la démocratie moderne elle-même et elles ont pris des tournures inquiétantes qui ont abouti à des cataclysmes et des tragédies qui ont marqué l’Histoire.
Aujourd’hui elles connaissent un nouveau regain, toujours véhiculée par les mêmes idéologies mortifères.
Pourtant, il y a une autre explication à ce «décrochage» entre les «élites» (ou considérées comme telles par ces populistes démagogues) et le «peuple» (entité fantasmée par ces mêmes populistes démagogues), entre la démocratie représentative et libérale et une partie de la population.
Et celle-ci serait qu’au contraire de prendre les gens pour des imbéciles, les pères de la démocratie moderne les avaient cru plus intelligents qu’ils ne le sont.
Oui, ils pensaient avec optimisme et espérance mais également avec conviction que la démocratie et ses valeurs humanistes possédaient cette évidence qu’elles étaient au service des personnes quand ce sont les personnes qui sont au service des régimes autoritaires et totalitaires et que le peuple en serait aisément convaincu grâce aux vertus de la liberté dans l’égalité et de l’égalité dans la liberté, le tout garanti par la loi.
Oui, ils étaient persuadés que l’individu préfère sa liberté à ses chaînes et que cette démocratie aurait la même une évidence pour lui.
Ceux qui mirent en place cette démocratie pensaient qu’elle s’imposerait comme une flagrance avec son idéal émancipateur qui permettrait de prodiguer à tous l’enseignement et l’information nécessaires qui aboutiraient à faire de chacun de nous, quel que soit nos aptitudes intellectuelles et émotionnelles, une personne éclairée, responsable de sa vie et respectueuse de celle des autres, comprenant où est son intérêt.
Or, alors que le plus vieux régime démocratique moderne se rapproche de ses 250 ans d’existence, voilà que nous nous rendons compte que nous sommes toujours et encore des êtres qui peuvent croire à tous les bobards même les plus délirants, à toutes les croyances même les plus improbables, à toutes les idéologies même les plus sanglantes, à tous les personnages ambigus même les plus dangereux, que nous critiquons sans cesse la démocratie, la rendant responsable de tous nos maux, que nous sommes prêts à donner ses clés à ses ennemis les plus déterminés et que nous en redemandons souvent et sans modération!
Oui, force est de constater que les pays démocratiques ne sont pas composées de ces citoyens éclairés et responsables, que nous manquons souvent du plus élémentaire bon sens, que nous ne sommes pas capables d’avoir une réflexion sans préjugés sur les faits qui se présentent à nous, que nous préférons souvent ignorer le réel pour nous réfugier dans un monde fantasmé.
Que ce soit parce que nous sommes à la recherche de sens d’une vie qui semble souvent en manquer ou parce que nous ne parvenons pas à rationaliser les choses ou que ce soit pour un autre motif, la réalité est bien celle-là, de cette espérance qui ne s’est pas réalisée mais sur laquelle nous nous sommes appuyés pour assoir un régime pour lequel nous nous rendons compte que ne nous ne sommes pas encore préparé à le faire fonctionner.
Le pire est que nous nous sommes accommodés de cette situation plus que bancale que nous connaissons depuis longtemps, incapables de faire surgir des limbes de l’ignorance et de l’obscurantisme une personne instruite, avisée, sensée dotée d’un minimum de sagesse et que nous avons, dans la foulée, dévoyé petit à petit l’idéal démocratique.
Ainsi, au lieu de l’approfondir en investissant massivement et constamment dans la formation et l’information d’un citoyen conscient et responsable, pierre angulaire de la réussite du projet démocratique, nous avons cru pouvoir régler l’incapacité de l’être humain actuel à maîtriser le fonctionnement de la démocratie à la manière de tout système bâti sur la négation de l’existence d’un individu émancipé en lui donnant, pour le faire adhérer à cet idéal, du pain et des jeux.
Ceux-ci se sont appelés, entre autres, «croissance économique» à tout va et anarchique qui nous revient dans la figure aujourd’hui, «société de consommation» du tout, tout de suite et plus encore et «culture populaire» niaise et abrutissante avec la vénération de la réussite matérielle.
Le matérialisme trivial, l’avoir, comme succédané au spirituel, l’être, voilà bien l’erreur commise sciemment devant la difficulté de construire un «peuple» démocratique.
Non pas que l’amélioration des conditions de vie et la montée des loisirs soient négatifs, bien au contraire.
Mais ils ne pouvaient en aucune façon remplacer une adhésion à la démocratie du fait qu’elle est et restera «le» seul et unique régime émancipateur de l’être humain indépendamment de toute gratification matérielle.
Voilà donc ce qu’est largement devenu aujourd’hui en grande partie le projet démocratique et le projet républicain où nous avons créé des êtres accros à l’avoir et inapte à être de manière consciente et irresponsable.
Ajoutons immédiatement que ces êtres ont été largement coopératifs, voire enthousiastes, dans ce processus.
Mais avec la disparition d’une croissance forte et la progression constante de l’insatiable désir de consommer et de posséder qui nous frustre plutôt qu’il nous libère ainsi que cette propension à nous abrutir plus que de nécessaire dans la pratique active ou passive de loisirs décervelants, nous creusons la tombe de la démocratie au lieu de travailler sans relâche à créer cet individu instruit et donc éclairé, le seul qui peut vivre en démocratie et faire vivre la démocratie.
Ceci pose évidemment deux problèmes principaux.
Le premier est de se demander comment résoudre ce hiatus entre le fonctionnement d’une démocratie et l’incapacité dans laquelle nous sommes de l’appréhender et de l’apprivoiser.
Le deuxième est de se demander comment protéger cette même démocratie des agissements destructeurs de ceux à qui pourtant elle est destinée, qui, seule, peut garantir les droits de l’individu dont sa liberté, face à nos insuffisances qui la mette en péril.
L’évidence est que ce n’est pas le système qui est la cause de ses dysfonctionnements mais que celle-ci vient bien de ceux à qui il est destiné.
De même, ce n’est pas ces puissants et ces élites qui l’empêchent de fonctionner mais notre ignorance et notre bêtise à nous tous.
Faisons donc en sorte de nous améliorer pour mériter de vivre en démocratie au lieu de puiser dans nos médiocrités pour tenter de l’abattre.
Cela est possible mais requiert un volontarisme de tous les instants ainsi qu’un optimisme basé sur le réalisme et non un fatalisme, voire un renoncement, parce que la démocratie n’est pas un régime «naturel» qui s’imposerait sans rien faire.
Nous avons sans doute oublié que la loi du plus fort, du plus malin, du plus rusé et non une véritable méritocratie est la règle depuis la nuit des temps et que, seule, notre souhait de vivre libre et en paix, égaux et solidaires soutient cette démocratie fragile que nous devons protéger à chaque instant et devant tous ses ennemis dont, souvent… nous-mêmes!
Oui, sans doute, nous pouvons et devons travailler à cette œuvre émancipatrice que seul le régime démocratique permet.
Mais, force est de reconnaître que nous n’y sommes pas encore parvenus.
Le cauchemar serait que nous n’en soyons jamais capables.

Alexandre Vatimbella