lundi 28 février 2022

Sans l’envie d’être libre pas de liberté

Etre libre est l’état d’un individu qui agit conformément à sa volonté et qui n'est pas soumis à des contraintes externes.

Dans l’absolu c’est le pouvoir qu’il possède à l'état de nature d'user comme bon lui semble de ses facultés.

Dans une société humaine, c’est le pouvoir que le citoyen a de faire ce qui n’est pas défendu par la loi et de refuser de faire ce qu’elle n’ordonne pas, le tout sous la protection de l’ordre juridique et dans les limites de celui-ci.

Comme le proclame la Déclaration des droits de l’homme (humain) et du citoyen de 1789, ce pouvoir «consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme (humain) n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits».

Ce pouvoir, reconnu par des droits et encadré par des devoirs, exige de la part de celui qui le pratique, la responsabilité et le respect de la dignité de l’autre.

Ces définitions nous disent donc qu’être libre est un pouvoir que peut exercer l’individu mais ne nous disent pas quel rapport nous entretenons avec la liberté, comment nous concevons sa présence, sa réalité et sa fonction au cours de notre existence et dans le quotidien, à quoi nous sert-elle.

Bon, c’est entendu, elle est d’abord une valeur, c’est-à-dire elle est «ce qui vaut», ce qui nous guide, ce qui a une importance fondamentale pour notre existence individuelle et notre vie collective, ce qui est un référence pour mener sa vie et organiser celle de sa communauté.

Elle est même une métavaleur parce que l’on veuille vivre libre ou non, qu’on soit autoriser à vivre libre ou non, qu’on soit capable de vivre libre ou non, nous nous confrontons constamment à la liberté et nous déterminons en permanence face à elle.

Mais, fait-elle partie intégrante de l’être dès sa naissance, est-elle essence ontologique ou est-elle un moyen mis à notre disposition pour atteindre des objectifs voire d’abord un objectif en lui-même ou est-elle plutôt un état d’esprit, une manière de vivre ou un constante quête que l’on cherche sans fin et que l’on trouve parfois, dont on se rapproche mais qu’en réalité on ne peut atteindre pleinement, voire jamais ce qui ferait d’elle une chimère?

Ou, encore, est-ce tout cela à la fois?!

Et n’est-elle pas également un ressenti?

On peut se sentir libre ou au contraire entravé sans que des éléments «objectifs» ne puissent justifier l’un ou l’autre de ces ressentis.

De même, on peut se sentir libre dans une société totalitaire et entraver dans une société démocratique tout dépend où l’on place l’effectivité de la liberté et/ou si on considère que la liberté «intérieure» prend le pas sur l’«extérieure», si être libre est un état cérébral et/ou spirituel avant tout ou une capacité d’agir de manière autonome dans sa vie et en tant que membre à part entière d’une communauté.

Néanmoins, si l’on ne possède pas les outils pour vivre la liberté dans notre rapport direct avec la société, celle-ci est alors matériellement impossible et nous ne pouvons vraiment nous sentir libre que «dans nos têtes».

Discuter de la liberté, c’est discuter de la question philosophique la plus fondamentale, notre condition humaine et ce que nous pouvons en faire.

Néanmoins, la liberté, avant d’être caractérisée par tout ce que l’on vient d’énumérer, est d’abord l’objet d’une envie.

L’envie d’être libre.

Bien sûr, cette envie doit trouver un cadre et des outils qui lui permettent de s’exprimer mais si ceux-ci existent mais pas l’envie, qu’il n’y a pas de volonté d’en faire le moteur de sa condition humaine, alors la liberté est virtuelle parce que non-pratiquée.

Etre libre est donc d’abord une intention mue par une volonté.

L’envie d’être libre est l’exigence première que réclame la liberté pour pouvoir la vivre effectivement.

Tout le monde n’a pas envie de se retrouver dans cette disposition, dans ce cas de figure parce que la liberté n’est pas «gratuite», elle implique un prix à payer non seulement sous forme de responsabilité mais aussi de choix, ce libre choix qui en angoisse plus d’un dans les sociétés modernes.

Prendre la responsabilité de ses opinions et de ses actes, assumer ses choix est souvent pesant pour certains qui tentent de s’en remettre, à leurs risques et périls, à des «maîtres à penser et à faire» qui leur donnent des réponses pré-emballées voire, plus grave, à une autorité à laquelle ils confient leur liberté.

Souvent même ils vont même jusqu’à lui confier leur liberté la plus intime, celle de penser.

Un autre cas de figure est celui où la personne n’appréhende pas par méconnaissance, par aliénation ou par catéchisation ce prérequis de la liberté qui est d’en avoir envie.

Ils ne pensent même pas qu’il faut cette envie ou n’ose pas l’exprimer.

C’est pourquoi être libre ne peut être compris uniquement comme un état naturel mais plutôt comme une capacité naturelle qui a besoin du moteur de l’envie pour se matérialiser et être vécue concrètement.

Cela n’enlève aucunement à la liberté son essence impérative que la société et l’autre doit respecter en nous.

Mais nous devons, de notre côté, manifester l’envie de liberté pour nous retrouver dans l’état de la pratiquer ce qui ensuite nous conduit à assumer ce choix dans la responsabilité.

Or donc, il semble que nous ayons fait une erreur d’appréciation capitale quant à l’exercice de la liberté.

Nous croyions qu’il suffisait de l’accorder en établissant des constitutions et des déclarations des droits humains ainsi qu’en votant des lois tout en apprenant concomitamment au citoyen cette aptitude à être libre pour que son règne soit assurée pour l’éternité.

Nous avions omis cette base fondamentale: pour être libre, il faut en avoir envie.

Sans cette envie la liberté n’est que virtuelle et formelle, pire peut même se transformer en une licence qui consiste à ce que l’individu utilise l’autonomie qu’apporte la liberté de manière irresponsable, assistée, égocentrique, irrespectueuse et consumériste qui devient alors son instrumentalisation, son mépris qui, in fine, la détruisent par là où nous avons fauté, l’oubli que si elle est un droit «naturel» pour tous, elle nécessite, non seulement, d’être enseignée sans relâche mais aussi et surtout de susciter cette envie qui, si elle est réelle, s’accompagne nécessairement de son respect et d’une fidélité à son égard.

Alexandre Vatimbella

jeudi 24 février 2022

Nous devons nous mobiliser face à la guerre déclenchée par Poutine

Vladimir Poutine a donc déclenché la guerre en Ukraine.

L’invasion du pays a commencé et le dictateur russe a prévenu la population et les militaires ukrainiens de ne rien faire en les menaçant d’une réponse «que vous n’aurez jamais vu».

Au-delà de la situation en Ukraine, des morts et de la désolation dont on a déjà des échos, c’est un jour noir pour la paix dans le monde et la possibilité d’un embrasement général tout simplement parce que les opérations militaires russes semblent d’une envergure beaucoup plus importantes que craintes même si les Etats-Unis, que l’on brocardait pour sa communication catastrophiste, avaient prévenu de ce qui est en train de survenir.

Si l’offensive des forces russes se poursuit et s’étend, si les combats deviennent de plus en plus violents, alors nous serons, nous Français et autres peuples de l’Union européenne, directement mis en péril face à un danger d’une ampleur que l’on n’aura pas connu depuis la Seconde guerre mondiale et que même la guerre froide n’avait pas atteint.

Nos dirigeants sont donc devant un fait accompli qui nécessite des réactions rapides et extrêmement fortes – comme un embargo général et un renforcement des armées aux frontières de l’UE – afin d’empêcher la Russie d’aller plus loin et de punir le plus fortement possible le régime scélérat de Poutine.

Mais, nous aussi, peuples européens, nous devons nous mobiliser pour faire comprendre au Kremlin que nous ne laisserons pas faire.

Bien sûr que cela va impacter notre vie quotidienne voire notre niveau de vie si la guerre se prolonge mais nous n’avons pas le choix si nous voulons éviter de nous retrouver dans la perspective d'un troisième conflit mondial.

Parce que si tous les pays occidentaux ont bien signifié que nous n’irons pas mourir pour l’Ukraine, la folie mégalomaniaque de Poutine peut évidemment déraper et alors c’est pour nous et nos enfants que nous devrons nous battre.

Le pire du pire n’est pas encore sûr.

On peut encore espérer que Poutine n’ira pas jusqu’au bout de sa logique notamment si ses amis Chinois lui disent de mettre la pédale douce, ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’à maintenant.

Mais ce qui se passe actuellement nous montre que, tout en gardant notre calme, le temps de l’apaisement et de la minimisation de la menace n’a plus cours.

Alexandre Vatimbella

 

lundi 21 février 2022

La liberté antichambre de la licence?

Etre libre est-il un état qui conduit immanquablement à outrepasser sa liberté pour passer dans la licence, c’est-à-dire à utiliser et instrumentaliser cette liberté individuelle pour commettre des actes et avoir des comportements qui mettent en danger le bien commun qu’est la Liberté avec un grand L et détruisent le lien social de la démocratie en agissant contre le vivre bien ensemble avec la négation de ce qui en est la base, la respect de la dignité humaine collectivement et individuellement parlant?

La liberté, nous le savons, n’est réellement viable qu’avec la responsabilité de celui qui la vit et donc l’exerce alors que la licence est une «liberté irresponsable» donc, effectivement, le contraire, plus, l’antithèse de la liberté dans une société humaine, dans un monde où le respect et la protection de la nature – entendue ici comme tout ce qui environne l’humain et l’humain lui-même – compris comme des attitudes responsables à son encontre sont une nécessité à la fois politique, sociale et sociétale.

Pour que la liberté individuelle reste une composante de la Liberté, elle doit être consciente que son pouvoir et ses capacités ne franchissent pas la limite où elle devient autre chose – la licence – et de constructive devient destructive.

La liberté d’un individu qui serait le seul être vivant sur une planète n’aurait évidemment pas de limite éthique puisqu’il pourrait s’accaparer et/ou détruire tout ce qu’il veut sans faire subir des conséquences à autre que lui, à autrui.

Or nous sommes des milliards d’humains et un nombre encore plus considérable d’être vivants qui partageons cette Terre et qui ont tous le même droit à vivre.

Dès lors, la question qu’il faut se poser est de savoir si l’octroi de la liberté par la société à l’individu n’aboutit-il pas toujours à ce que celui-ci veuille en faire un moyen, une arme, qu’il utilise en ne prenant uniquement en compte que son seul profit et son intérêt ainsi que celui de ses proches et qu’il est donc amener à enfreindre, à bafouer les règles qui la régissent en société.

Bien sûr, son intérêt bien compris serait de comprendre que son profit va bien au-delà des avantages ponctuels qu’il en retire à un moment donné.

Son existence dans une communauté en paix, sur une planète saine où la vie humaine n’est pas en danger de par son action destructrice sont des bienfaits de loin plus essentiels que de vivre dans le conflit et de piller les ressources naturelles.

La problématique n’est plus alors de mettre en compétition démocratie et totalitarisme mais bien de s’interroger sur la capacité de l’humain en tant qu’individu et de l’Humanité en tant que communauté à agir de manière responsable.

En effet, si dans une démocratie la liberté du plus grand nombre peut se dévoyer en licence, dans un totalitarisme c’est la liberté de quelques uns, ceux qui dirigent et leurs agents, qui peut produire la même perversion et, là, sans aucun contrôle possible donc avec des dommages potentiels d’une ampleur bien plus conséquente.

Si tel est le cas, l’évolution de nos capacités technologiques et scientifiques couplées avec notre volonté d’avoir toujours plus nous amèneront inéluctablement dans l’abime parce que ce comportement ressort plus de la licence que de la liberté parce que la responsabilité est sacrifiée sur l’autel de cupidité.

Or, aujourd’hui, rien dans nos agirs montrent que ce ne sera pas le cas, rien ne montrent que les individus utiliseront trop souvent et de plus en plus l’autonomie qui est une des composantes essentielles de la liberté afin de pervertir celle-ci en licence dans une démarche égocentrique, irresponsable et irrespectueuse.

La question d’une liberté antichambre de la licence demeure donc ouverte et c’est bien là le problème majeur de la démocratie, régime de la liberté.

Parce qu’elle n’a pas réussi jusqu’à présent à former des citoyens libres c’est-à-dire responsables de leur liberté et respectueux de celle des autres.

Certains d’entre nous le sont, beaucoup trop encore ne le sont pas.

Rien ne dit qu’elle n’y parvienne pas et qu’elle ne réussisse pas son pari sur l’humain.

Mais rien ne dit le contraire, non plus.

Alexandre Vatimbella

 

jeudi 17 février 2022

Nous ne sommes même plus dans l’information-spectacle mais dans le spectacle-informatif

Donald Trump, Eric Zemmour, les mouvements séditieux comme lesdits «convois de la liberté» ici et ailleurs ou les «gilets jaunes», tous des «produits d’appel» mis constamment en «tête de gondole» et bénéficiant d’une campagne promotion en boucle, autant d’exemples qui montrent que les médias ont fait un pas supplémentaire dans la mise en scène de l’information afin de créer l’événement comme on crée une sitcom – oui, parce que le plus souvent à plusieurs épisodes pour les bestsellers –, de bâtir un récit marketing comme on gère un produit dans le but d’augmenter ses taux d’audience et de diffusion afin d’accroitre ses revenus et éventuellement ses parts de marché.

On ne nous donne plus de l’information mais on nous raconte des histoires d’autant plus que la fiction est beaucoup plus facilement malléable que la réalité.

Aujourd’hui, nous ne sommes déjà plus cette «information spectacle» (infontainement) qui prit son véritable essor dans les années 1980 et qui était déjà une perversion de l’information mais dans le «spectacle informatif» c’est-à-dire dans une construction où le spectacle devient le principal composant et l’information une simple aubaine, une sorte de matière première presque secondaire que l’on va transformer et modeler jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’un ingrédient parmi d’autres d’un produit fini.

L’important ici n’est plus le contenu mais le contenant, le fond mais la forme, l’appel à l’intelligence mais à l’émotion, la formation du citoyen mais son divertissement, la véracité mais une narration qui emprunte essentiellement aux codes romanesques.

On se rappelle ainsi qu’au départ du mouvement de foule des «gilets jaunes», certaines chaines d’information en continu ont ouvert leurs antennes l’entière journée pour quelques milliers de manifestants et qu’elles le firent également lorsqu’en bout de course, il ne réunissait que quelques centaines d’entre eux.

Dans le même temps, tout un mythe fut construit sur ses origines et ses principales figures qui furent mises en avant tels des têtes d’affiche d’un blockbuster tandis que le moindre soubresaut donnait lieu à l’écriture d’un nouvel épisode où l’on retrouvait les mêmes personnages et quelques nouveaux pour alimenter, à la fois, la fidélité du public et le garder en haleine.

Ce n’était donc pas la dimension de ce mouvement qui importait mais bien ce qu’on pouvait en faire comme spectacle.

Et cela fut une réussite puisque les taux d’audience des médias audiovisuels augmentèrent ainsi que la diffusion de la presse papier.

D’où cette évidente envie de renouveler l’opération avec l’autre mouvement séditieux dit «convoi de la liberté» mais dont l’utilisation médiatique se révèle, pour l’instant en France, un flop comme en connaissent nombre de séries télévisées qui passent à la trappe avant même la fin de la première saison…

Bien évidemment, il existe aussi une volonté politique de certains médias qui s’approprient le procédé afin de pratiquer la désinformation et diffuser des fake news.

Et pas simplement ceux dits «populaires» voire «populistes» mais également ceux dits «sérieux»…

Il s’agit en l’espèce de récupérer le spectacle informatif pour faire de la propagande en surfant sur son succès.

Se télescopent alors ce spectacle à but essentiellement lucratif et cette propagande à but essentiellement idéologique dans une bouillie indigeste et souvent grandguignolesque où tous les rapprochements, surtout les plus fumeux, sont de sortie.

C’est déjà une étape supplémentaire car la dérive de l’information spectacle au spectacle informatif était à l’origine un processus qui n’avait a priori aucune volonté autre que commerciale.

De plus en plus, le spectacle informatif est instrumentalisé pour des motifs avant tout idéologiques.

On assiste ainsi à une double manipulation de l’information pour obtenir, à la fois, un gain financier et un bénéfice idéologique alors que l’information spectacle avait avant tout un objectif financier.

On comprend bien tout ce que cette dérive contient de menaces graves pour la démocratie.

Evidemment, la manipulation des faits pour créer un événement médiatique existe depuis longtemps en témoigne les bandes annonces pour promouvoir un film, un concert ou une rencontre sportive.

Evidemment, l’émergence des réseaux sociaux sur internet a été à la base de ce spectacle informatif mis en place par les médias.

Néanmoins cette dernière ne peut être invoquée comme une excuse ou un argument valables parce que justement le rôle de la presse est de se confronter et s’opposer à la déformation et à la manipulation des faits.

Car ici on n’est pas dans la technique de «faire mousser» un spectacle mais bien dans la volonté d’utiliser l’information, ce bien commun, pour des motifs qui n’ont rien à voir avec sa mission qui est la formation et l’information de l’individu afin qu’il soit un citoyen éveillé et responsable capable de prendre les bonnes décisions pour sa vie et pour celle de sa communauté.

Dès lors, le spectacle informatif nous éloigne un peu plus du projet démocratique, de l’émancipation des personnes et des peuples, de leur capacité à vivre en égaux dans la liberté en respectant la dignité de l’autre.

Car il ne faut pas se tromper, ce spectacle informatif est tout sauf anodin et il renvoie à cette si appréciée formule par les despotes en tout genre, donner aux peuples du pain et des jeux pour mieux les tenir.

Alexandre Vatimbella

 

mercredi 9 février 2022

De la stratégie présente des extrêmes pour faire dérailler la démocratie

«It's Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided with the New Politics of Extremism» (C'est encore pire qu'il n'y paraît : comment le système constitutionnel américain a été fracassé par la nouvelle politique de l'extrémisme) est un livre très précieux publié en 2012 bien avant l’arrivée de Donald Trump et écrit par deux politistes américains réputés, l’un démocrate, Thomas Mann, l’autre républicain, Norman Ornstein, qui analyse de manière brillante comment les extrémistes de droite ont agi aux Etats-Unis pour cacher leurs desseins afin d’arriver au pouvoir dans le but de faire dérailler la démocratie er le consensus qui l’accompagne nécessairement.

Avec constance, ils ont commencé dès la fin du siècle dernier par répandre sans cesse des thèses selon laquelle le pays étant en danger sur tout et n’importe quoi (de l’immigration aux finances publiques en passant par toutes les avancées sociales et sociétales), qu’il fallait prendre des mesures radicales pour le sauver et que les élus de droite, du Centre et de gauche qui professaient des idées consensuelles et qui cherchaient des compromis démocratiques étaient responsables de cette détérioration, pire, des traitres à la nation, au rêve américain et à l’exceptionnalisme du pays.

Dans un premier temps, ces propos furent traités comme il se doit, c’est-à-dire comme outranciers, s’appuyant sur des contre-vérités flagrantes.

Mais, à force d’être répété, à force de diaboliser l’«autre bord», à force de s’étoffer et d’être patiemment poli, à force de trouver de nouveaux adeptes et de nouveaux relais, ce discours, à partir des premières années de ce millénaire, a acquis la légitimité d’être une opinion qui valait autant qu’une autre même si elle était le plus souvent établie que sur du vent et des mensonges, ne reposant sur aucun fait réel, sur les ancêtres en quelque sorte des fake news et des faits alternatifs ainsi que de l’élucubrationisme (complotisme) actuels.

Une fois acquis ce statut, ses propagateurs affirmèrent dans le même temps, que, eux, étaient toujours positionné sur le même lieu politique, c’est-à-dire qu’ils étaient les représentants de la droite et du centre-droit traditionnels alors même que toutes leurs déclarations et leurs comportements politiques prouvaient exactement le contraire.

Ils ajoutèrent que ce n’était pas eux qui avaient changé mais bien leurs adversaires qui s’étaient déportés vers la gauche et, surtout, l’extrême-gauche.

Ce n’étaient donc pas eux qui pourrissaient le débat politique, qui étaient devenus des subversifs et des séditieux mais bien l’«autre bord».

En somme, ils étaient les «bons» Américains, fidèles à la bannière étoilée, face aux «mauvais» Américains qui voulaient transformer les Etats-Unis en dévoyant toutes les valeurs sur lesquelles ils s’appuyaient jusque là.

Ils furent aidés en cela par des médias radicaux et extrémistes comme, bien sûr, Fox news qui devinrent de simples outils de propagande.

Les médias «mainstream» (grand publlic), c’est-à-dire ceux tentant d’être le plus objectif possible et s’adressant à la majorité de la population, refusèrent au départ d’entrer dans ce jeu pervers qui était en quelque sorte d’accuser l’autre camp de ce que l’on faisait soi-même.

Pourtant, ici ou là, des fissures apparurent dans ce front et, petit à petit, le débat politique dans la presse se fissura avec nombre de médias importants qui se laissèrent embobinés et commencèrent à parler d’une radicalisation, à la fois, de la Gauche et de la Droite alors qu’elle ne venait que de cette dernière à l’époque.

Il faut dire que les oppositions tranchées sont nettement plus faciles à traiter et à vendre…

Dès lors la politique fut dominée par le discours de cette «nouvelle droite» – qui n’était que cette vieille extrême-droite et cette tout aussi vieille droite radicale – c’est-à-dire que chacun devait se positionner en rapport avec ces antagonismes qu’elle avait créés et qui ne correspondait aucunement à la réalité.

De fait, ce glissement idéologique provoqua un glissement sémantique qui déporta mécaniquement les lignes politiques partisanes avec, donc cette droite qui réclamait être la seule légitime à pouvoir bénéficier de cette appellation et tout ce qui était «autre» – c’est-à-dire le spectre allant de la droite modérée à la gauche en passant par le centre – devenait désormais la gauche à laquelle il fallait rajouter les qualificatifs de «anti-américaine», «intransigeante», «socialiste», «extrémiste» pour les plus respectables….

Le tour de passe-passe réussit encore une fois, grâce encore à des complicités médiatiques qui, pour certaines, étaient uniquement un désir de faire du profit commercial sur de nouveaux affrontements qui pouvaient susciter une audience forte ainsi que par l’ignorance, souvent crasse, il faut bien l’avouer, d’une grande partie des électeurs, notamment ceux du Parti républicain dans les Etats du Sud et du Midwest rural mais pas que.

Concernant ces derniers, si certains furent endoctrinés par une propagande habile et insidieuse, pour beaucoup – en particulier les membres des églises évangélistes du Sud – cela releva d’abord de la libération de la parole et d’une haine contenue pendant des lustres face à la modernité comme le prouva d’abord le mouvement du Tea party – un populisme d’extrême-droite – lors de la présidence de Barack Obama puis avec l’élection de Donald Trump – un populiste d’extrême-droite – jusqu’à l’envahissement du Congrès en janvier 2021 pour empêcher la présidence d’un démocrate et centriste légitimement et largement élu – un mouvement de foule populiste d’extrême-droite.

C’est sur cette base, c’est-à-dire un mensonge originel qui avait si bien marché, que toutes les fake news et les théories élucubrationistes (complotistes) actuelles peuvent s’appuyer pour déferler sur internet et, en particulier, les réseaux sociaux mais également relayés par les médias complices dont je parlais plus haut.

On a ainsi pu présenter comme socialistes ou communistes – voire dans des délires d’esprits dérangés et simplistes comme nazis! –  les centristes Hillary Clinton ou Barack Obama ou même des élus républicains les moins radicaux qui furent ostracisés par les militants de leur parti et qui, soit décidèrent de jeter l’éponge, soit furent battus à plate couture lors d’élections internes de désignation des candidats aux scrutins locaux et nationaux par des extrémistes jetés dans leurs pattes.

Une partie de ces élus qui avaient été accusé d’avoir viré à gauche, sentant le danger, décidèrent de se radicaliser pour sauver leurs sièges, ce qu’avaient bien entendu espéré les organisateurs de cette stratégie…

De son côté, après une période d’aphasie face à cette offensive, la gauche radicale et l’extrême-gauche profitèrent de ce déplacement artificiel des lignes et y virent une opportunité pour revenir en force dans le jeu politique et acquérir une exposition bien plus grande qu’autrefois en se présentant comme le rempart naturel à l’extrême-droite.

La boucle était bouclée…

Sauf qu’aux Etats-Unis, ce dernier phénomène n’est absolument pas de même ampleur que la transformation de la droite conservatrice en droite radicale et extrémiste.

Et même s’il existe une sorte d’alliance objective entre les deux extrêmes pour s’en prendre d’abord à la démocratie républicaine libérale qui est leur ennemie commune

Et sauf que les courants traditionnels de gauche, du centre et de droite existent toujours.

Reste que le simple fait, désormais, de combattre les arguments de l’extrême-droite et de se montrer intransigeant face à son discours mais aussi sa violence vous catalogue souvent comme un gauchiste dans les médias!

Car, peu importe que ce «nouveau» paysage politique soit une fake news, pour nombre de commentateurs incapables de comprendre ce qui s’était passé, la Droite et la Gauche s’étaient radicalisées de concert tandis que les centristes avaient viré à gauche…

Aujourd’hui, nous sommes donc bien aux Etats-Unis, dans la confrontation entre l’extrémisme radical anti-démocratique et les forces démocratiques qu’elles soient de gauche, du centre ou de droite.

Le seul changement a été l’accaparement par l’extrême-droite de l’appellation «droite».

Et celle-ci est également devenue la règle dans toutes les démocraties républicaines sans exception avec des rapports de force qui ne sont pas exactement les mêmes dans chaque pays.

Bien entendu, les particularités «locales» font que les cas de figure ne sont pas des exactes copies de ce qui se passe en Amérique et que les situations divergent dans le temps mais le processus est le même.

En France, nous voyons bien qu’il y a d’un côté les extrémistes populistes calquant leurs stratégies sur celle du Parti républicain et de Trump – avec Marine Le Pen et Eric Zemmour mais aussi Jean-Luc Mélenchon dans son opposition à la démocratie républicaine libérale – et les démocrates de tous bords.

Et l’on voit, notamment dans le discours de Zemmour, que cette extrême-droite revendique d’être la «vraie droite» en reproduisant à l’identique la stratégie qui a si bien fonctionné aux Etats-Unis et qu’avait déjà initiée, il faut l’ajouter, la famille Le Pen.

La volonté des droites extrêmes et radicales est de fonder un parti qui engloberait selon eux toute la Droite mais qui, comme le Parti républicain d’aujourd’hui, ferait la purge de tout ce qui ressemble à des conservateurs modérés et à des libéraux éclairés.

Evidemment, tout ceci n’est pas donné pour l’éternité.

D’abord du simple fait que c’est une bien une construction fallacieuse qui a permis cette «nouvelle» architecture qui ne correspond à rien sauf aux même clivages qu’avant mais, et c’est là le plus dangereux, avec l’usurpation des étiquettes.

Ensuite parce que cet extrémisme est avant tout destructeur sans avoir aucune capacité à construire quelque édifice solide comme l’a montré la présidence de Donald Trump.

Mais pour lutter contre cet encerclement de la démocratie républicaine par ses ennemis de l’intérieur, encore faut-il rappeler comment il a été mené et consolidé.

Alexandre Vatimbella