14-18: La guerre de mon grand-père

1914-1918: La guerre de mon grand-père Louis Pommery


 


Niché dans les sillons de la Somme, Ollezy est, en ce début de siècle, un tout petit village d’une centaine d’habitants au cœur de la Picardie. Situé dans le département de l’Aisne, il est traversé par la route qui va de Saint-Quentin à Ham, juste après Saint-Simon. Moins riante que la vallée de l’Oise, cette vallée de la Somme doit son agrément aux vastes plans d’eau de ses marais et de ses étangs coupés de hautes rangées de peupliers. Ça et là, on aperçoit les huttes où les chasseurs guettent silencieusement de longues heures durant, le gibier d’eau mais où aussi, chuchote-t-on dans le pays, de bouche à oreille, des rendez-vous coupables furent parfois la cause de drames demeurés mystérieux. Le promeneur qui, lui, ne chasse ni n’attend personne, peut goûter tranquillement le charme mélancolique de ce paysage que baigne les beaux jours d’hiver, la lumière légère et transparente des pays du Nord ou que recouvre, les matins d’automne, le voile impalpable d’une brume dorée par le soleil.



Le village est à l’écart des grandes voies de communication auxquelles le relie, malgré tout, des chemins vicinaux. Celui qui rejoint la route de Ham traverse de riches terres de culture où alternent blé et betteraves où seuls quelques boqueteaux rompent la monotonie des champs alignés. Les autres qui conduisent aux routes menant à Saint-Quentin par Dury ou Saint-Simon longent la vallée de la Somme à laquelle ils doivent leur aspect verdoyant. De Saint-Simon à Ollezy, la chaussée à peine surélevée, s’insère entre les marais miroitants. Sur tous ces chemins, l’approche du village se signale par l’odeur caractéristique des feux de tourbe, extraite de la vallée et se substituant agréablement – pour l’odorat! – au charbon de bois.



Ollezy regroupe alors quatre fermes dont les deux plus importantes cultivent chacune quelques cent cinquante hectares. Elles ont la disposition traditionnelle des fermes picardes, les bâtiments de briques – écuries, granges, bergeries, remises, maison d’habitation – entourant une grande cour au milieu de laquelle s’élève le tas de fumier. L’endroit possède aussi son «château», qui s’avère être plutôt une grande bâtisse sans intérêt s’élevant au milieu d’un vaste parc planté de beaux arbres.



Et puis, bien sûr, comme dans toute commune française, petite ou grande, il y a l’église, minuscule et très vieille, où la messe est souvent plus braillée que chantée par un vieux chantre que soutient de toute sa voix le maire du village. Parfois, ce dernier s’endort au beau milieu de l’office puis se réveille brusquement pour reprendre en vigueur le chant interrompu! Peu d’hommes dans l’assistance mais des femmes toutes vêtues de noir – comme c’est l’usage à cette époque dans les campagnes –, sauf les «dames du château», dont les élégantes robes blanches font un peu scandale!



Mais, ce qui nous intéresse se passe ailleurs. En ce dimanche 26 juillet 1914 d’un été chaud et radieux comme on n’en avait pas connu depuis bien longtemps, il y a la fête au village. Alors que le monde occidental est au bord d’une implosion désastreuse qui mettra fin, dans seulement huit jours, à toute une façon de vivre et de concevoir le monde, le jardin de la ferme Legrand, une des plus grandes d’Ollezy, respire la joie qui se lit sur le visage de deux jeunes amoureux de vingt ans, nés tous les deux en l’année 1893 à Saint-Quentin. Une année qui voit José Marie de Heredia publier «Les Trophées», Anatole France achever «La Rôtisserie de la Reine Pédauque», Georges Courteline offrir au théâtre ses «Messieurs les Ronds de Cuir», Verdi donner la première de son opéra «Falstaff», Henri Ford construire sa première voiture et le scandale de Panama parvenir à son zénith avec la condamnation du député Baïhaut. Cependant, deux décennies plus tard, en ce jour estival, entourés de leurs proches, Louis et Louise – oui, cela ne s’invente pas! – ne pensent qu’à leur bonheur présent et futur. Ils se fiancent enfin et se jurent une nouvelle fois fidélité pour la vie. Et ce serment, ils le tiendront pendant près de soixante ans, jusqu’à la disparition de Louis…



Profitant des ombrages et des parterres de fleurs, il y a là la famille et les amis. Bien sûr, il y a la maîtresse de maison, la grand-mère maternelle de Louise, Lucy Legrand, qui vient de perdre sa mère, madame Noé – dont la famille possédait des moulins à Ham, à quelques kilomètres de là –, morte à 80 ans dans cette ferme dont elle faisait encore quelques mois auparavant le tour tous les soirs avant de se coucher, vêtue de son grand tablier bleu noué à la taille, une lampe tempête à la main, l’électricité étant bannie des lieux de peur du feu… Il y a aussi les parents de la jeune fille, les Levé, Henri et Marie, et leur fils, Eugène, ainsi que Berthe Pommery, la mère du jeune homme fringant et gai sans oublier Jean, son frère aîné de plus de dix ans. Le père de Louis, Célestin Virgile, mort à 71 ans en 1912, n’est pas là pour assister au bonheur de son fils cadet. Mais Louis l’a toujours connu comme un vieux monsieur distant dont les dernières années avaient été assombries par la faillite de son entreprise textile, spécialisée dans les devants de chemise.



Cette journée, Louis la rêve depuis longtemps, depuis qu’à treize ans, un jour béni des dieux, il rend visite à Eugène Levé, son copain de classe du lycée Henri Martin qui loge avec sa famille dans un hôtel particulier de Saint-Quentin. Là, il y rencontre la femme de sa vie en la personne de Louise, la sœur d’Eugène. Instantanément, il sait qu’il l’épousera. Et son amour n’est pas de circonstance. De même, la flamme de son cœur ne s’éteindra jamais. Tout au long de sa vie il aimera, voire il adorera cette jeune fille, cette jeune femme, cette femme qui lui donnera deux filles et un amour réciproque. Vingt-cinq ans après cet heureux évènement de 1914, le 16 février 1940 en pleine tourmente d’une autre guerre mondiale, il écrit à propos de sa compagne de toute une vie, «J’attends Louloue demain pour un week-end d’amoureux dont je me suis fait une fête toute la semaine». Et de ce week-end, il s’en souviendra comme «Deux journées exquises ajoutées au trésor incomparable de nos souvenirs»…



Que de fois du village familial de Moy-de-l’Aisne, lorsqu’il passe quelques jours de vacances à la campagne, ou de Saint Quentin, il prend sa bicyclette pour se rendre chez les Legrand pour retrouver, en tout bien tout honneur, sa bien-aimée et se promener tous les deux dans ce jardin où ils sont réunis à présent. Là, en parcourant les allées, leur tendre bavardage construit l’avenir dont ils rêvent. Il part généralement le matin de bonne heure, passe par le marais et sent qu’il n’est plus très loin lorsque l’odeur des feux de tourbe emplit ses narines. Alors, il s’arrête un instant pour savourer son bonheur prochain auquel il n’a cessé de penser tout au long de la route. Quelques minutes encore et un jour délicieux va commencer qui passera bien trop vite pour Louise et lui.



Le 127° régiment en 1913
Ces qu’il vit ce dimanche, il l’a attendu avec tant d’impatience. Et lorsqu’il défile en tenue de sous-lieutenant de réserve du 127° régiment d’infanterie quelques jours auparavant dans les rues de Valenciennes, pour ce 14 juillet 1914 qu’il croit être sa dernière parade militaire, il ne sait pas encore, qu’en réalité, il s’agit de la dernière fête nationale avant son départ vers les bourrasques de la Grande guerre… A ce moment-là, il ne pense qu’à de jour béni et pas un seul instant à un conflit avec l’Allemagne, comme d’ailleurs la plupart de ses camarades de régiment, comme la plupart des Français qui, malgré les évènements troubles veulent toujours croire à la douceur de la paix et à la sagesse des hommes.



Pendant ses classes à Valenciennes
Il a donc presque terminé ses deux ans de service militaire et bénéficie d’une permission pour quelques jours. La vie est à lui! Louise va devenir officiellement sa fiancée puis, bientôt, sa femme! Se rappelant cette date si importante pour son existence, il écrira des années plus tard: «Cette permission devait être marquée pour moi par un évènement qui allait décider de ma vie, mes fiançailles avec la jeune fille saint-quentinoise dont depuis des années déjà et presque encore enfant j’avais décidé qu’elle serait ma femme. C’est donc sur des moments de la vie délicieux entre tous que prirent fin ma permission et aussi, sans que j’en sache rien, mon existence saint-quentinoise. Comment ma mémoire et mon cœur ne garderaient-ils pas un souvenir ineffaçable de la cité picarde où je suis né, où j’ai eu vingt ans et où j’ai rencontré le bonheur».



Lundi 3 août 1914, la France déclare officiellement la guerre à l’Allemagne. Louis part sur le front pour se retrouver rapidement dans le bourbier des tranchées humides et froides du Nord-est de la France, parfois à quelques kilomètres seulement de sa terre natale, pendant que la Picardie, sa Picardie, maintes fois mises à l’épreuve des guerres au cours de l’Histoire, souffre une nouvelle fois, terriblement, de ce cataclysme effroyable.



Et lorsque les deux jeunes amoureux reviennent à Ollezy en 1918, ils n’y voient que ruines et dévastation. Plus de beau jardin aux fleurs riantes et aux arbres majestueux, plus de maison, plus rien de ce qui avait été un des lieux témoins de leur amour…



Entretemps, ils auront affronté les affres de la Grande Guerre. Bien sûr, ils sont trop jeunes pour avoir connu la guerre de 1870 mais Louise a été élevée par sa grand-mère dans la haine de l’Allemand, celui qu’on appelle de plus en plus souvent le Boche depuis lors, ce conflit qui a déjà dévasté la région lors de cette première confrontation qui tourna à l’avantage de cet ennemi venu de l’Est. Quant à Louis, il va vivre la terrible réalité des offensives meurtrières et de la désolation.



«Jamais le ciel plus bleu, ni le bonheur plus mûr, la vie plus désirable» a écrit Paul Valéry pour dépeindre cet été 1914 où la folie des hommes va provoquer une des plus grandes tueries de tous les temps, seulement dépassée par le deuxième conflit mondial qui en est directement issu, vingt-cinq ans plus tard.



Cette première guerre mondiale est dure pour les Picards en général et pour les familles de Louis et Louise en particulier. Et même si la mort est clémente avec Louis et son frère, le jeune homme n’en est pas moins blessé deux fois. De même, les dévastations touchent tous les lieux familiaux. Demeurée d’abord à Saint-Quentin, la mère de Louis est obligée de quitter la ville par les Allemands. Pendant toute cette épreuve, tous les jours, elle écrit un journal qui est, avant tout, un long cri d’amour et d’attente vis-à-vis de ses deux fils. Louise, elle, part se réfugier à Paris tandis que ses parents vivront l’occupation allemande et la déportation.



Pour l’instant, ce conflit de plus de quatre années ne fait que commencer. Le 1er août, la mobilisation générale est décrétée et une affiche est placardée sur les murs des villes et des villages de France:

«Par décret du Président de la République, la mobilisation des armées de terre et de mer est ordonnée ainsi que la réquisition des animaux, voitures et harnais nécessaires au complément des armées.

Le premier jour de la mobilisation est le dimanche 2 août 1914.

Tout Français soumis aux obligations militaires, doit, sous peine d’être puni avec toute la rigueur des lois, obéir aux prescriptions du fascicule de mobilisation (pages coloriées placée dans son livret).

Sont visés par le présent ordre tous les hommes non présents sous les drapeaux et appartenant:

1° A l’armée de terre, y compris les troupes coloniales et les hommes des services auxiliaires;

2° A l’armée de mer, y compris les inscrits maritimes et les armuriers de la marine.

Les autorités civiles et militaires sont responsables de l’exécution du présent décret.»



En rejoignant son régiment, Louis repense certainement à ce mois d’octobre 1912 où, à dix-neuf ans, il part au service militaire qui, à l’époque, dure trois ans. Il est, comme tous les jeunes gens de Saint-Quentin, affecté à la caserne Saint-Hilaire construite dans la ville picarde après 1870 et qui abrite le 87° R.I. Mais Louis choisit de passer le brevet de «chef de section» afin de pouvoir bénéficier d’une libération au bout de deux ans. En octobre 1913, il quitte Saint-Hilaire pour rejoindre le peloton des élèves sous-officiers de réserve à Amiens. En août 1914, il devient sous-lieutenant de réserve au 127° R.I. Evidemment, plus question pour lui d’une libération anticipée…



Selon les archives de l’armée française sur le 127°, les préparatifs de la mobilisation commencent le 2 août sous les ordres du Colonel de Riols qui le commande. Puis, le  mercredi 5 août au matin, le régiment défile au milieu de la population qui est «sérieuse, émue et fière de voir ses soldats partir avec enthousiasme, et foi au cœur où le devoir les appelle».



Le régiment est transporté ensuite par train dans les environs de Hannapes sur le front des Ardennes où il cantonne jusqu’au 10 Août. Louis y est accueilli, triste présage, par la pluie.



Puis il part pour Hannapes et, le 10 août, s’arrête à Montcornet où il écrit dans son Agenda militaire Berger-Levrault de couleur rouge dont tout soldat est doté: «Journée de marche très fatigante; chaleur terrible. Arrivée Montcornet 7 heures du soir». Ensuite, c’est Secheval, Montigny-sur-Meuse puis le passage en Belgique.



Entre ce 10 août et le 15, le régiment est transporté ainsi par étapes dans la région belge de Gochenée, à Anthée, près de Dinant où l’ennemi est en contact avec les troupes alliées.  «Ces étapes, dit l’armée, ont mis au point le régiment d’Infanterie; chacun se connaît et la confiance des uns et des autres s’est fortifiée». Et du 15 au 22 Août, le 127° occupe et organise à Morville-Maurennes et Hastière des emplacements de soutien des unités engagées dans la région de Dinant.



Les opérations militaires ne commencent réellement que le 20 août. Et le dimanche 23 août, c’est le baptême du feu pour Louis, à Saint-Gérard, avec la première bataille, les premiers obus et la première retraite.



Le récit de l’armée:

«Après une lutte d’artillerie de deux heures environ, les deux infanteries  entrent en contact. Il est huit heures du matin, une vive fusillade se déclenche, les coups de l’ennemi venant de la lisière du bois. Les batteries françaises sont d’abord prises violemment à partie par les batteries ennemies, puis celles-ci arrosent de shrapnels et d’obus explosifs nos positions d’Infanterie. Vers quinze heures, les unités en première ligne reçoivent l’ordre de se replier par échelons successifs.

Ce repli s’effectue avec beaucoup de difficultés, le tir des batteries ennemies redoublant de violence et l’infanterie adverse, très supérieure en nombre, suivant de près notre mouvement, nous inflige, par son feu nourri, des pertes sérieuses.

A 19 heures, les unités du 127°, après avoir traversé Bioul et s’être reformées à la sortie de cette localité, reçoivent de la division l’ordre de battre en retraite dans la direction d’Ermeton-sur-Biers. Ayant commencé le mouvement, le régiment Bivouaque dans le Bois de Denée pendant une partie de la nuit, et reprenant le mouvement de retraite, il cantonne en fin de journée à Matagne-la-Grande.

Au cours de ce premier combat, le régiment a perdu le Commandant Vinvens, tombé à la tête du premier bataillon, deux officiés et environ 160 tués ou blessés tombés aux mains de l’ennemi, 95 blessés, dont 3 officiers ont put être évacué à l’arrière.»



Une seconde se déroule le mardi 25 août à Mariembourg. Un «combat rude», note-t-il, au cours duquel il est légèrement blessé l’après-midi comme le confirme par écrit son commandant:

«Le Capitaine Gardel du 113° Régiment d’Infanterie certifie que le Sous-lieutenant Pommery a été blessé sous ses ordres comme chef de la 4° section de la 8° compagnie du 127° d’infanterie le 25 août 1914 au combat de Mariembourg en Belgique. Cet officier est tombé à mes côtés atteint dans le dos d’un éclat de balle ou d’obus.

Mis, par la suite de cette blessure, dans l’impossibilité de suivre le mouvement de retraite du régiment, il a rejoint sa compagnie après être resté deux jours dans les lignes allemandes».



Le récit de l’armée:

«A 4 heures 30, il reçoit l’ordre d’organiser le barrage de Mariembourg. Les unités prennent immédiatement leurs positions et à 9 heures le combat est engagé entre nos avant-postes et des groupes de cavaliers et de cyclistes ennemis.

L’artillerie  ennemi arrose de Shrapnels et d’obus explosifs le village de Mariembourget la Route de Mariembourg à Frasnes. Malgré la surprise que causait à nos soldats l’éclatement gros projectiles ennemis « des gros noirs » comme ils disaient, qui pouvaient à juste titre provoquer une compréhensible émotion, jusqu’à 16 heures, l’infanterie allemande est tenue en échec. Les mitrailleurs du 1er Bataillon, du Lieutenant Du Gouedic, mitraillent à courte distance une colonne allemande et tiennent jusqu’au dernier moment.

Le Colonel De Fonclare qui se tient avec les derniers éléments, s’adresse à un terreur, le Soldat Fremaux, et lui indique l’ennemi. Le mitrailleur répond « je les laisse venir à portée, mon Colonel, quand ils seront en haut de la route bien droite, vous aller les voir sauter. »

Et, en effet, calme, maître de lui, il arrête l’ennemi à 300 mètres, permet au reste de sa section de se replier, parvient à se dégager lui même et rejoint, deux jours après, le régiment en ramenant sa pièce, après avoir jeté l’autre dans le ruisseau de Mariembourg. La médaille militaire fut la juste récompense de ce soldat qui devint un valeureux Sergent et fit toute la campagne.

A 16 heures, l’avis d’avoir à préparer un nouveau mouvement de retraite parvint au 127e qui a rempli sa mission en retardant la marche de l’ennemi. Le mouvement est ordonné à huit heures ; il s’effectue sous la protection des feux d’une Compagnie du Génie et de deux Bataillons du 43e régiment d’Infanterie, établis sur les hauteurs du village de Frasnes. Le Commandant Hulot, commandant le 3e Bataillon, est blessé à ce moment.  Malgré l’interdiction ennemie, le 127e Régiment d’Infanterie, réussi à passer la rivière de Mariembourg et gagne la route de Frasnes. Les dernières fractions, vivement pressées par l’ennemi qui a réussi à atteindre les abords du village, se replient, sous les ordres directs du Colonel, sur les hauteurs boisées de Nismes-Pétigny, d’où elles gagnent Couvin. Dans la nuit, le Régiment se rassemble et cantonne à Cul-des-Sarts.»



Le 26 il est encore dans les Ardennes à Rocroi mais le 28 l’heure de la retraite sonne à nouveau et le voilà à Cilly dans son département natal de l’Aisne. Ensuite, c’est Le Hérie, le 29 où il couche derrière une ferme en feu, le régiment ayant été envoyé à cet endroit pur prendre par à l’attaque du hameau de Clanlieu.



Le récit de l’armée:

«Le 3e bataillon, remontant vers le Nord, occupe la Ferme de Bretagne où il reçoit l’ordre d’attendre. Les 1er et 2e bataillons marchent sur Le Hérie et l’ordre d’attaquer leur parvient à 17 heures. La résistance est opiniâtre. Mais les clairons sonnent la charge, les drapeaux sont déployés, l’ennemi est bousculé et les troupes de la 1ière division progressent de 5 kilomètres. Cette attaque continue ainsi jusqu’à 20 heures.

Le 3e bataillon reste accroché à la Ferme de Bretagne, Clanlieu est occupé, et la progression s’arrête sur Audigny où l’ennemi résiste énergiquement.»





Le dimanche 30 août, nouvelle retraite.



L’armé écrit:

«A trois heures, ordre est donné d’abandonner Clanlieu et de se replier sur le Hérie. Ce repli s’effectue lentement pour les 1er et 2e bataillons, le 3e Bataillon restant à la Ferme de Bretagne où il est accroché.

A 6 heures, ordre est donné de reprendre Clanlieu avec toutes les fractions disponibles. Les 1er et 2e bataillons se portent à l’attaque à l’Est du village mais ne peuvent déloger l’ennemi qui s’y est fortement organisé et qui, appuyé par une artillerie nombreuse, fait subir aux unités d’attaque de lourdes pertes.

Les deux bataillons se retirent lentement sur le Hérie où le Régiment rassemblé de nouveau reçoit l’ordre de se replier au Sud-Est de Faucouzy.»





Louis continue à se replier vers Gizy puis Meurival, après la bataille de Guise, à Bois-les-Pagny. «Journée très fatigante», écrit-il.



Le récit de l’armée:

«Pendant six jours, pendant six nuits, c’est un repli ininterrompu, sans halte, sans repos, sans sommeil, sans repas chaud ou froid. La troupe grogne parce qu’elle dépasse toujours le kilomètre suivant où on lui promet de s’arrêter, mais elle marche cependant et en ordre, parce qu’elle sait, d’une part, que si l’on traîne, l’ennemi qui talonne vous ramasse et que, d’autre part, le recul qu’elle fait a un but qu’elle devine et qu’elle attend.»



Le 2 septembre le régiment se trouve dans le département de la Marne, à Lhéry. Il va donc être de la fameuse bataille de la Marne qui se déroule du 5 au 12 septembre 1914.



Le jeudi 3 septembre, la troupe passe l’affluent de la Seine puis couche dans les tranchées. Le vendredi 4 septembre, Louis dort dans un fossé. Le samedi 5 septembre, on leur annonce l’offensive pour le lendemain dont le but est d’empêcher les Allemands de prendre un avantage décisif. Il note: «La Papendière. Campement part à 9 heures / Arrivée à 21 heures».



Le récit de l’armée:

«Le 5 septembre, le régiment cantonné à la Ferme de la Paimbaudière  est alerté. Il apprend, tout vibrant, que l’offensive est reprise le lendemain. Les hommes oublient leurs fatigues, leurs misères des jours et des nuits précédents, écoutent et se pénètrent du fameux ordre du jour du Général Joffre qui leur est lu ce soir là par leur Commandant de Compagnie: ‘Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que ce moment n’est plus de regarder en arrière; tous les efforts doivent être employés à attaquer et refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée’.»



Il vit cinq jours terribles. Le dimanche 6 septembre, c’est la bataille de Montmirail où il passe son après-midi sous le feu de l’artillerie ennemie. Il dort derrière une meule de foin.



Le récit de l’armée:

«Le 6 Septembre, la 5e Armée dont fait partie le 127e régiment d’Infanterie simultanément avec les armées voisines prend l’offensive dans la direction générale de Montmirail. Le 1er corps attaque dans la direction des Essarts-Le-Vicomte, Esternay, Champguyon, Montmirail.»



Le lundi 7 septembre, il est à la ferme de Rieux où des combats ont lieu toute la matinée.



Le récit de l’armée:

«Le 127e régiment d’Infanterie trouve le premier le contact à Esternay. La lutte d’Infanterie est violente. Les deux artilleries font rafe. Le 127e gagnant du terrain occupe les Côtes 196 et 200. Sa progression s’accentue au delà de ces points jusqu’à 19 heures. En fin de journée, le régiment couche sur ses positions. Le 7 septembre, à 7 heures, la progression reprend. L’ennemi, décimé par notre artillerie, bat en retraite. La poursuite commence. Cantonnements en fin de journée à Rieux et le Monat.»



Le mardi 8 septembre, c’est une «journée d’artillerie» qui blesse quatre soldats du régiment.



Le mercredi 9 septembre est plus meurtrière avec la bataille de Magny où l’on relève deux tués et dix-huit blessés parmi ses camarades.



Le récit de l’armée:

«Le 9 Septembre, à 4 heures, le régiment après avoir dépassé Vauchamps, se porte à l’attaque de Magny où l’ennemi s’est accroché et d’où il lance une contre-attaque sur notre droite. Prononcée à 16 heures, elle est enrayée par nos feux et repoussée par deux compagnies en réserve du régiment. Magny est enlevé et la progression s’accentue au-delà. A 18 heures, l’ennemi en déroute se replie, poursuivi par le régiment qui peut cantonner le soir à Fontaine-Chacun.

Le Lieutenant-Colonel Boudhors, blessé au cours des combats du 9 septembre, est remplacé, dans le commandement du Régiment, par le Chef de Bataillon Seupel.



Enfin, cela se calme le 10 septembre où il arrive à Dormans occupée quelques jours auparavant par le général prussien Büllow. «Une petite ville enfin!», écrit-il. On fête le répit au Dubonnet. Et l’on sait recevoir les soldats: «Amabilité» de l’hôtel; Bonne nuit».



Le récit de l’armée:

«Les 10, 11, 12 et 13 septembre, le mouvement en avant continue. La Marne est passée à Dormans, le 11 au matin. Les allemands ont fait sauté les ponts et c’est sur les ponts du Génie que les troupes franchissent allègrement cette rivière dont le nom, qui devient un symbole, est couronné par l’ordre du jour suivant, du Général Joffre : ‘La Bataille qui se livre depuis 5 jours, s’achève en une victoire incontestable.  La retraite des I°, II° et III° armées allemandes s’accentue devant notre gauche et  notre centre. A son tour, la IVe  armée ennemie commence à se replier au Nord de Vitry et de Sermaise. Partout, l’ennemi laisse sur place de nombreux blessés et des quantités de munitions. Partout on fait des prisonniers ; en gagnant du terrain, nos troupes constatent les traces de l’intensité de la lutte et de l’importance des moyens mis en œuvre par les Allemands pour essayer de résister à notre élan. La reprise vigoureuse de l’offensive a déterminé le succès. Tous, officiers, sous-officiers et soldats avez répondu à mon appel. Vous avez bien mérité de la Patrie’.»



Après un passage à Ormes dans le département de l’Aube, la confrontation reprend le dimanche 13 septembre avec la bataille de Reims.



Le récit de l’armée:

«Le 13, Reims est occupé par le 127° qui stationne au Nord et au Nord-Est de cette ville. L’attaque des hauteurs de Béru et de Brimont est continuée par le 3e Corps d’Armée.

Le 14 Septembre, la lisière Nord du Bois de Soulains et la Ferme Modelin sont attaqués par les 3° et 2° Bataillons. L’ennemi résiste avec acharnement. A 16 heures 15, l’attaque est reprise pas le régiment engagé en entier et, en fin de journée, les objectifs assignés sont atteints.

Dans la nuit du 14 au 15 le régiment, relevé par le 84° d’Infanterie, va cantonner à la Neuvillette. Le 3° bataillon et la 8° Compagnie trop fortement accrochés ne sont relevés que dans la soirée du 15.

16 et 17 septembre, mouvement du régiment vers l’Ouest qui occupe, le 18, Gernicourt et le Bois de Gernicourt avec l’ordre de s’organiser pour résister sur place à toute tentative de l’ennemi.»



Le 17 septembre, retour dans l’Aisne, à Roucy, où le régiment prend ses quartiers jusqu’au 30 septembre. Ce matin-là, le général de division passe en revue les troupes. Au moment où l’on joue la Marseillaise, voilà qu’un avion allemand en mission de reconnaissance survole les soldats bien alignés. Et Louis nota avec un certain humour: «Quelle tête s’il avait lancé une bombe sur le régiment massé»… De là, il part, jusqu’au 20 octobre pour Gernicourt, toujours dans l’Aisne. Mais, dès le 1er octobre, il se languit de Louise. «Voilà deux mois de mobilisation, deux mois de notre séparation», marque-t-il avec son crayon noir sur les fines pages de son petit agenda.



Le 15 octobre, une bataille éprouvante s’engage à la côte 91, près du bois de Gernicourt. Son régiment est durement touché avec douze tués et quarante-sept blessés. Il note: «Journée épouvantable». Mais que dire des autres régiments qui se battent à ses côtés. Le cinquième a cent deux disparus et le sixième, quatre-vingt-dix. Même Louis est légèrement blessé en recevant quatre balles!



Le récit de l’armée:

«Le 15 Octobre, le régiment reçoit l’ordre d’attaque la côte 91 avec un bataillon de tirailleur Sénégalais. A 4 heures 45, le 2e bataillon passant par Berry-au-bac et l’Ouest de la Côte 108 se porte en avant vers la lisière Ouest du Bois de la Côte 91. Le bataillon de tirailleurs et le 3e bataillon suivent son mouvement. Le 1er bataillon, franchit le canal à Sapigneul pour suivre la progression. L’ennemi qui occupe des positions puissamment organisées résiste énergiquement. Ses feux de mousqueterie, de mitrailleuse et ses barrages d’artillerie déciment nos unités qui doivent se replier sur la rive droite du canal.

Au cours de ce combat se distinguent entre autres le capitaine Danzel d’Aumont, le caporal Trupin qui, parti volontairement pour porter un ordre, rencontre en revenant des hommes qui, affolés par l’éclatement des premières mines, ont lâchés leurs tranchées, les prend sous son commandement, les ramène et ressoude la ligne interrompue. La médaille militaire fut la juste récompense de sa belle conduite.

C’est aussi là que fut tué le lieutenant-colonel Legros qui suit le combat à l’abri d’un arbre qu’un obus effondre sur lui. Le capitaine plataret prend le commandement du régiment jusqu’au 17 Octobre, puis le chef de bataillon Leydis jusqu’au 2 où il est remplacé par le lieutenant-colonel Lamboley.»



Puis ce sont les tranchées de Berry-au-Bac dans l’Aisne, un retour à Gernicourt puis le départ vers Bourgogne dans la Marne et, le 27 octobre, le régiment arrive dans la ville des Fismes, toujours dans la Marne, situé entre Reims et Soissons où le régime stationne jusqu’au 30 du même mois. Louis ira aussi, pendant cette période dans l’Aisne, notamment à Brenelle, Saint-Marc et Soupir.



Du 1er au 16 décembre, retiré du front, le régiment s’installe dans la région de Paars, Trélon et Rosnay. Puis le 17 décembre, il rejoint Fismes pour être transporté dans la région de Cuperly-la-Cheppe.



Le 28 décembre, à 16 heures, lors d’un bivouac dans les bois de Somme Tourbe dans la Marne, il est blessé accidentellement, «écrasé par la chute du toit d’un abri constitué par des rondins et de la terre» comme l’atteste dans un certificat officiel le Sergent major Firmin Gabert, le Sergent fourrier Robert Delvaux et le soldat Emile Ferrand.



Le service automobile du 13° régiment le 14 juin 1916
Cette blessure lui vaut repos puis, incapable de se battre comme fantassin, il reçoit, le 20 mars 1915 une nouvelle affectation au service automobile du 13° régiment d’artillerie en tant que sous-lieutenant de réserve. Le service automobile des armées avait été créé au début de la guerre.



Lorsqu’il le rejoint, celui-ci participe à a bataille du plateau de Vauquois situé entre Reims et Metz dans le département de la Meuse.



Le récit de l’armée:

«Comme il domine la forêt de Hesse, la vallée de l'Aire et le versant oriental de la forêt d'Argonne, le plateau de Vauquois dresse dans l'histoire du régiment, bouleversé par les obus et les bombes,écorné par des mines énormes qui, de jour en jour, en ont changé le profil, sa masse blanche et nue.

Aux derniers jours d'août 1914, après les malheureux combats sur la Meuse, les batteries du 13° avaient traversé le village de Vauquois encore intact. Elles avaient descendu les pentes de la colline par ses chemins encaissés où pendaient des branches chargées de fruits. Elles avaient traversé les riches vergers et les pâturages qui s'étendaient à ses pieds sans songer qu'un jour, elles contribueraient à détruire, une à une, toutes les maisons, à raser toutes ces richesses, jusqu'aux dernières pierres de l'église, jusqu'au gros tilleul de la place.

Pendant dix-huit mois, tapis dans la forêt de Hesse, les canons du 13° firent leur œuvre. Il ne s'est guère passé une attaque sans qu'ils n'y aient participé et quand la division, au début de 1915, eut conquis, au prix des sacrifices les plus sanglants, cette importante position, c'est à eux encore qu'échut la mission de veiller, à tous les instants, sur le résultat de notre conquête.

C'est pourquoi, malgré tant de batailles qui suivirent, Vauquois, dont le seul nom évoque la souffrance et la mort, restera peut-être pour le régiment le souvenir le plus vivace de la guerre.»

(…)

La situation dans Vauquois, telle qu'elle était au début de 1915, devait rester très longtemps sans changement. La guerre de tranchée s'établit dans la forêt de Hesse comme-sur tout le front français. Une vie nouvelle commence pour le régiment qui doit renoncer à ses beaux espoirs de marche en avant et de batailles libératrices.

L'artillerie de campagne se transforme en artillerie de siège. Les toiles de tente que l'on avait dressées derrière les caissons, lors des attaques de mars, se montrèrent rapidement insuffisantes contre la pluie et la neige incessantes. Elles sont remplacées par des branchages, des morceaux de planche, des tôles, du carton goudronné, cependant qu'aux abords de la batterie les servants se creusaient dans la terre de solides abris. Dans chaque batterie on tire peu. On reste souvent plusieurs jours sans tirer. Tout le temps est employé à l'aménagement de la position. Après les abris des hommes, s'élèvent les casemates des pièces, les postes de commandement, les postes téléphoniques.

L'artilleur se fait sapeur. La forêt qui l'entoure lui fournit le bois en abondance ; les services de l'arrière : les planches, les clous, les outils. Le régiment, grâce à son entrain au travail comme au combat, grâce a son recrutement de mineurs qui fournissent d'excellents chefs d'équipe, organise puissamment ses positions et mérite les éloges du général commandant l'armée.

Jusqu'à leur relève — 2 août 1916 — les batteries se déplacèrent peu. Ces déplacements de peu d'importance du reste, nécessités bien plus par le souci de se soustraire au bombardement ennemi que par un changement de mission, étaient le plus souvent mal vus de la troupe qui, pour ne trouver que la terre nue, abandonnait avec regret le résultat de longs mois de travaux.

(…)

La mission du régiment pendant l'année 1915 et la première moitié de 1916 fut exclusivement défensive. Une seule fois, le 6 juin 1915, nous attaquions la partie ouest du plateau. Cette attaque échoua et à l'exception des petits engagements locaux qu'entraînaient les explosions de mines et les coups de main, aucune opération de grande envergure ne fut tentée ni par les Français, ni par les Allemands. Au cours de l'offensive française en Champagne, le régiment dut éventuellement prêter son concours à une offensive du 5° C. A. Les batteries furent alertées, les échelons poussés à proximité des positions, un programme d'action élaboré, mais tout resta en place.

Cette stabilité fit naître une organisation très complète du secteur. Les liaisons multipliées, consolidées, permettent la transmission rapide des renseignements et les demandes de l'infanterie.

Les observatoires, occupés en permanence par des gradés hors ligne, transmettent sans retard le moindre changement d'aspect des lignes, la moindre activité de l'ennemi au poste de commandement, tenu ainsi très exactement au courant de ce qui se passe. Si le renseignement mérite d'être exploité, une batterie est mise en relation avec l'observateur qui dirige et règle ses feux sur l'objectif révélé. Les batteries sont donc actionnées d'une part par les observateurs. Elles le sont aussi par l'infanterie, soit directement par le système des fusées-signaux, soit par l'intermédiaire du commandant de l'artillerie auquel l'infanterie a adressé ses demandes. Elles sont enfin employées à l'exécution de tirs systématiques : tirs de représailles, d'interdiction sur les voies et communications ennemies de concentration, de contre-préparation lorsqu'une attaque allemande semble se préparer.

A l'intérieur de la batterie, tout est mis en œuvre pour remplir la mission confiée dans les conditions les meilleures. Toute la nuit un homme guette les fusées que peuvent lancer les observateurs et les postes d'infanterie. Les pièces, à tour de rôle, sont de garde, prêtes à intervenir au moindre signal.

Au seul cri de «Barrage!» du guetteur, chacun saute à son poste quelles que soient l'heure et les circonstances. Pour faciliter l'exécution rapide des ordres, les commandants de batterie rivalisent d'ingéniosité : cornes, cloches, sonneries électriques, téléphones, tous les moyens de se faire comprendre vite par des hommes répartis en plusieurs abris et profondément endormis sont bons.

Certaines positions sont si bien aménagées que l'ordre de tir du capitaine est exécuté par les pièces sans que personne n'ait eu à sortir du réseau de sapes et de galeries qu'est devenue la batterie.

La pensée de tous les commandants de batterie, à cette époque où le long stationnement permettait un repérage précis et l'écrasement sans merci si des précautions n'étaient pas prises, est dominée par le souci constant d'exposer le moins possible le personnel. C'est à cette préoccupation de tous les instants que le régiment dut la faiblesse de ses pertes, malgré des bombardements excessivement violents. La 3° batterie au château d'Abancourt, la 9° dans la butte de Bertrametz, la 7° à la Fontaine-aux-Chênes, étaient devenues, par un travail quotidien d'amélioration et d'entretien, de véritables forteresses et défiaient les calibres les plus imposants.

Pendant dix-huit mois, par tous les temps, sous les pluies et la neige de l'hiver, sous le soleil brûlant d'août, les hommes, que nulle peine, nul déboire ne rebutaient, firent l'admiration de leurs chefs.

Travailleurs infatigables par les jours de calme, ils savaient se montrer aux jours de combats de redoutables canonniers. Ni la longueur de la guerre, ni la monotonie de leur existence, ni l'obsédant souvenir des êtres chers laissés au pays, ni la pensée de mourir sans gloire, écrasés dans une casemate ou dans un abri n'abattirent leur humble courage. Une claire notion du devoir dominait tout et l'accomplissement leur en était étrangement facilité par le sentiment de camaraderie profond qui unissait chefs et soldats. Souvent très éloignées les unes des autres, les batteries ne se fréquentaient pas et comme elles restaient en position des mois entiers, elles devenaient rien vite un cercle fermé, une grande famille unie par les mêmes besoins, les mêmes craintes, les mêmes dangers, le même amour de la patrie. Durant cette guerre de secteur, la tenue au feu des canonniers ne fut pas moins belle qu'aux jours de grands combats. Les actes de bravoure ni se comptent plus chez des hommes dont la plupart sont des vétérans et la seule crainte d'en omettre de plus dignes empêche de citer des noms.

Aux observatoires, aux batteries, sur les routes de ravitaillement, dans l'implacable boue de l'Argonne tenace jusqu'aux plus beaux jours de l'année, les hommes qui savaient souffrir en silence surent mourir simplement sans connaître l'ivresse des grandes batailles. Et ce qui, peut-être, vous fit si grands, artilleurs de Vauquois, loin des luttes triomphantes où vos frères d'armes rassemblaient les palmes et les honneurs, c'est d'avoir gardé, malgré votre immobilité énervante de dix-huit mois, ces vertus militaires qui allaient faire de vous, sur les champs de bataille de la Somme, de si beaux soldats.»



En permission avec Louise janvier 1916
Le 30 décembre 1916 il est promu au grade de Lieutenant de réserve dans l’Infanterie.



Le 21 juillet 1918, cantonné à Puget-sur-Argens, le camp de transit de l’Armée  française d’Orient (AFO) qui a combattu en Grèce et notamment à Salonique, il écrit à Louise:

«Ma petite chérie, je t’envoie un petit mot ce matin de dimanche. Au dos ma résidence actuelle. Les baraques sont blanches et au milieu d’une plaine desséchée et un soleil de plomb. Heureusement on n’a rien à faire car par cette chaleur le moindre travail est pénible! Et encore il fait relativement supportable dans les baraques mais dehors! Le communiqué confirme les heureux résultats de nogtre offensive. Puisse-t-elle être le prélude d’opérations décisives. Je t’aime ma petite chérie et t’embrasse très tendrement. Ton Louis.»



Il termine la guerre en étant au 19° escadron du train qui est cantonné à Paris et rattaché au gouvernement militaire de la capitale.



Au sortir de la guerre, il est définitivement démobilisé le 12 juin 1919 et déclaré «inapte définitif» avec le versement d’une pension pour une infirmité de 10%. Celle-ci, selon le médecin qui l’examine fait ressortir un «léger emphysème pulmonaire sans signe de bronchite actuelle» avec «inspiration humée, expiration saccadée, rudesse respiratoire». S’il n’y a pas de «bruits adventices», il «accuse de la dyspnée d’effort et une petite fièvre vespérale fréquente» avec une radio «sommets gris s’éclairant incomplètement surtout à droite, champ d’aspect emphysémateux». Néanmoins, le médecin indique un «état général satisfaisant en apparence».



Il aura passé près de six ans et demi dans l’armée d’octobre 1912 à juin 1918.



Surtout, il retrouve enfin Louise qui l’a attendue. Mais il ne retrouve pas sa Picardie, dévastée par les combats et par la volonté de l’ennemi de détruire mais aussi, quelques fois, par les troupes françaises elles-mêmes… En octobre 1918, un mois avant l’armistice, un spectacle de désolation l’attend lorsqu’il pénètre avec quelques éléments avancés dans sa ville de Saint-Quentin. Il circule au milieu des ruines dans des rues totalement désertes. Il est pris par ce silence et ce vide. Et puis le voilà devant le 12 de la rue de Chateaudun, la demeure de Louise, totalement détruite. Auparavant, il s’était arrêté devant le numéro 13 de la rue de la Caisse d’Epargne, devant cette grande bâtisse sans charme où il avait vécu son enfance et sa jeunesse.



A quoi pense Louis lorsqu’il entre dans cette maison familiale dévastée où ne subsiste plus que les murs avec des débris de meubles et une incroyable saleté. Revoit-il la haute silhouette grande et mince de son père affairé, toujours penché sur son bureau, au milieu de ses pièces de tissus à l’odeur si caractéristique? Ou celle de sa mère assise dans un grand fauteuil, en train de faire de la tapisserie ou de confectionner des tapis de haute laine? Pense-t-il à ses jeux d’enfants avec ses copains dans le grenier?

Et que dire de la ferme d'Ollezy, cette maison où il s'est fiancé un jour de juillet 1914 avant de devoir partir pour le front quelques jours plus tard, cette maison qui avait été le théâtre d'une des journées les plus joyeuses de son existence. Elle n'est plus que ruines, détruite par l'armée allemande. Les familles Pommery et Levé paieront un lourd tribut matériel lors de cette Première guerre mondiale. Mais les deux frères Pommery qui partirent au front revinrent sain et sauf, ce qui est l'essentiel.






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