La liberté afin d’être effective pour le citoyen doit être
accompagnée de la sécurité.
Sans assez de sécurité, pas de liberté.
Mais, la liberté pour exister ne doit pas être étouffée par
cette même sécurité.
Avec trop de sécurité, pas de liberté.
Comment atteindre ce difficile équilibre dans une démocratie
et est-ce possible?
La question n’est évidemment pas nouvelle et le duo
liberté-sécurité est au centre d’une des questions les plus éminentes
concernant la démocratie.
La société a pour tâche première d’assurer la sécurité de
ses membres, c’est là même sa principale légitimité.
Ainsi, à quoi servirait-elle si sa vie était menacée chaque
fois que l’on devait sortir dans la rue, si on pouvait se faire voler en toute
impunité, si les assassins n’encouraient aucune sanction?
Mais la démocratie ne peut pas se contenter d’assurer la
sécurité, elle doit offrir la liberté effective à tous.
Et, qui plus est, dans la sécurité.
A quoi servirait-elle, en effet, si la licence permettait à
certains de faire ce qu’ils veulent au détriment de tous les autres, si elle ne
pouvait assurer à chacun sa liberté d’opinion et sa capacité à vivre son
individualité?
Comme tout juste équilibre, celui qui unit liberté et
sécurité est constamment en péril et doit être sans cesse réajusté.
Cependant, il ne doit jamais pencher de manière trop
prononcée d’un côté ou de l’autre.
La menace terroriste est emblématique de cette obligation de
trouver un compromis acceptable pour que la liberté puisse s’exercer dans la
sécurité mais que cette dernière, tout en étant renforcée, ne limite pas le
cœur même des libertés collectives et individuelles.
Ici, le maître mot est «responsabilité».
Jouir de la liberté implique d’être responsable de ses actes
et d’en rendre compte si l’on tombe dans la licence.
Jouir de la sécurité implique qu’on ne la confonde pas avec
imposition de sa volonté au détriment des autres pour mettre en place un ordre
qui les priverait de leurs droits fondamentaux à être libres.
Il faut ainsi aboutir à ce juste équilibre où, dans une
société d’égaux, la sécurité n’entrave pas la liberté et où la liberté ne
menace pas la sécurité.
Et un seul régime permet d’y parvenir, c’est la démocratie
républicaine libérale.
C’est d’ailleurs sa première mission sur laquelle toutes les
autres peuvent et doivent s’appuyer.
C’est à l’aune de sa réalisation effective que l’on peut
juger de la réalité de la démocratie et de son niveau d’accomplissement.
La démocratie c’est un
régime qui permet le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple.
On peut ajouter pour
que la démocratie existe, chacun doit voter librement en son âme et conscience
et qu’un vote en égale un autre donc que les notions de liberté et d’égalité
constituent le socle sur lequel elle repose.
Mais cela ne va pas
plus loin.
La démocratie de ce
point de vue n’est qu’une sorte de procédure qui permet à chaque citoyen
d’exercer son droit de vote pour choisir ses représentants ou pour voter
directement (dans le cadre de la démocratie représentative par le référendum).
Tel n’est pas le cas
du projet démocratique qui est sans doute mal nommé et qui pourrait être appelé
de manière plus appropriée «projet humaniste» et qui élève la démocratie à une «dignitocratie»
ou «respectocratie».
Ainsi, le projet
démocratique ou humaniste ne se limite pas à donner le droit de vote et à faire
d’un régime celui du peuple par le peuple et pour le peuple mais de faire de
l’individu, un citoyen éclairé et responsable capable de prendre en main son
projet de vie et de le construire avec succès.
Un citoyen auquel la
société garantit son autonomie ainsi que le respect de sa dignité et de son
individualité.
Même si la démocratie
stricto sensu comme procédure politique demande pour fonctionner du mieux
possible un tel citoyen, elle peut néanmoins exister, comme on le constate
quotidiennement depuis son introduction, sans celui-ci, c’est-à-dire avec des
individus incapables de prendre leur projet de vie en main, incapable de
distinguer leurs intérêts, ceux de leurs proches et ceux de la société dans
laquelle ils vivent et auxquels n’est garanti ni leurs dignités, ni leurs individualités
mais ayant pourtant ce droit de vote dans une société dont le régime est
souvent à l’opposé du projet démocratique ou humaniste.
Cette différence entre
la démocratie, simple procédure politique, et le projet démocratique ou humaniste,
régime basé sur des valeurs, des principes et des règles humanistes, permet à
des pays autocratiques d’affirmer être des démocraties que l’on nomme
«démocraties illibérales», une sorte d’oxymore qui n’en est pas un si l’on fait
fi de tout ce qui devrait accompagner la tenue d’élections au suffrage
universel pour qu’il s’agisse d’une «vraie démocratie» c’est-à-dire d’une «dignitocratie»
ou «respectocratie».
Il semble donc
important de pouvoir renommer ce qui doit l’être pour ne pas confondre une
simple technique électorale et un projet politique humaniste tant le terme de
démocratie a été instrumentalisé et dévoyé depuis son invention en Grèce où
déjà il prêtait à tous les détournements puisque considérer Athènes comme une
démocratie alors que le fait que les femmes et les esclaves ne pouvaient voter
était déjà une apparence, de même pour la démocratie américaine originelle qui
empêchait les noirs et les «native americans» d’être des citoyens ayant le
droit de vote.
Si les Européens avaient vraiment compris les enjeux de la
construction européenne, si l’Union européenne était une fédération sur le
modèle des Etats-Unis où les Etats gardent bien des prérogatives mais se sont
unis en matière économique et surtout de sécurité – où sur celui de la confédération
Suisse –, alors, aujourd’hui l’Europe serait la première puissance mondiale.
Si l’Europe existait, elle ne se laisserait pas dicter sa
conduite par une extrémiste populiste installé à la Maison blanche.
Si l’Europe existait, elle ne laisserait pas un potentat criminel
installé au Kremlin la menacer.
Si l’Europe existait, elle ne laisserait pas un dictateur
violent installé à Zhongnanhai, la nouvelle Cité interdite, lui imposer ses
règles commerciales.
Oui, si l’Europe existait, les Etats-Unis seraient les
alliés de l’Europe et non pas le contraire.
Oui, si l’Europe existait, Poutine ne serait sans doute pas
au pouvoir mais règnerait une démocratie en Russie.
Oui, si l’Europe existait, Xi devrait accepter les règles
honnêtes du commerce et des relations internationales.
Oui, si l’Europe existait le monde serait tout autre en
cette première moitié du 21e siècle et le troisième millénaire qui
commence pourrait être vu comme celui où vont triompher les valeurs de l’humanisme.
Car, même à l’intérieur de l’Europe, cette réussite exceptionnelle
aurait sans aucun doute réduit les extrémismes et les populismes à peu de chose.
Et, dans cette Europe, la liberté, l’égalité, la fraternité
et le respect de la dignité humaine seraient en constante progression tout
comme le bien-être de la population.
Mais l’Europe n’existe pas.
En tout cas pas telle qu’elle puisse être cette puissance
humaniste et de paix qui imposerait un monde où l’on pourrait vraiment parler
de gouvernance mondiale pour repousser le plus possible la guerre et ses
dévastations tout en permettant à tous les peuples de la planète d’espérer des
jours meilleurs.
Et cette Europe n’existe pas parce que les peuples européens
n’en ont pas voulu et que leurs dirigeants se sont évertués depuis sa création
à s’attribuer ses succès et à rejeter leurs erreurs sur celle-ci!
Aujourd’hui face à une menace léthale et, à tout le moins,
un effacement de la carte de ce monde où l’on peut encore décider de son
présent et de son avenir, les dirigeants européens sonnent, un peu tard (trop
tard?) le tocsin alors que les peuples européens se chamaillent encore et
donnent nombre de leurs voix aux ennemis intérieurs de l’Europe, creusant
aux-même dans la haine et la rage, leurs propres tombes.
Oui, l’Europe était un espoir après la Deuxième guerre
mondiale, un espoir que les Européens ont gâché en grande partie.
Aujourd’hui, l’Europe est une nécessité vitale.
Mais pas sûr que les Européens l’aient enfin compris.