L’intelligence artificielle est là et donc elle ne
disparaîtra plus sauf catastrophe qui nous empêcherait de l’utiliser ou qu’elle
soit dépassée par une nouvelle technologie.
C’en est ainsi de toutes les créations humaines.
L’IA peut apporter de nombreux bienfaits mais aussi possède
de nombreux défauts.
Pour que ses bienfaits l’emportent sur ses défauts, l’important
est de la maîtriser.
C’est la seule chose que le politique peut faire pour en
faire une technologie qui sera une aide pour l’humain et non son ennemi.
Mais ce ne sera évidemment pas simple.
Cela passe par une formation dispensée dès l’école pour apprendre
et s’approprier l’IA et par une information destinée à tous pour encadrer son
développement ainsi qu’une législation adaptée – protégeant sans brider son
développement – et un contrôle efficace de tous les instants.
Un peu tout ce qu’il aurait fallu et qu’il faudrait faire
pour le web…
Car oui l’exemple d’internet n’est pas très encourageant.
Ses défauts surpassent souvent ses bienfaits et son contrôle
pour protéger les personnes est tout sauf efficace.
Si les fake news et le complotisme ont toujours existé, le
web les a fait littéralement progresser de manière exponentielle.
Dès lors, on peut se poser la question de savoir si c’est
possible alors que, déjà, les dérives sont là et menacent une fois de plus les
valeurs humanistes ainsi que le projet démocratique.
Rappelons-nous dans ce débat ô combien cardinal que l’IA,
comme toutes les technologies, est ce que nous en faisons.
L’IA en soi n’est ni bien, ni mal, elle est.
Ce n’est donc jamais une fatalité que le négatif l’emporte
sur le positif, seulement une volonté de tous ou de certains.
Et lorsqu’il s’agit de certains, c’est contre ceux-là que
nous devons agir, ceux qui veulent s’approprier l’IA pour leur propre compte à
des fins subversives ou financières et qui mettent en danger l’Etat de droit
démocratique.
L’idée n’est pas de brider l’IA et son développement mais de
la protéger pour qu’elle soit ce que devrait être toute technologie, au service
de tous sans exception et utilisable en toute confiance et sécurité.
Quant aux bouleversements qu’elle est susceptible de
provoquer dans notre quotidien, dans notre travail et dans notre mode de vie,
ils nécessitent un accompagnement qui permettent des transitions les plus
douces possibles.
Qu’un certain nombre d’emplois soient supprimés ou soient
chamboulés par l’IA, cela semble une évidence comme toute révolution technologique
qui concerne le monde du travail.
Ce fut le cas pour les machines à vapeur, pour les robots et
pour internet, cela le sera pour l’IA.
Sauf que la casse sociale n’est pas une fatalité si l’on
sait encadrer son développement et créer les emplois dans le même temps qui
vont apparaître grâce à elle tout en formant les travailleurs à son utilisation
là où elle va provoquer des adaptations dans leurs tâches.
Maîtriser est vraiment le fondement même pour que l’IA soit
considérée comme une véritable plus-value dans nos existences.
Et, encore une fois, cela ne dépend que de nous, les humains.
«Au service des autres», cette notion a perdu non seulement
son attractivité mais également de son attraction en tant que mission estimée
et estimable.
Désormais, une majorité de personnes considère que le
service rendu à l’autre – gratuit ou rémunéré – c’est se rabaisser, c’est être
un inférieur, c’est abandonner sa fierté, c’est être le larbin des autres, l’opprimé,
une sorte de serf ou d’esclave moderne…
Une complète aberration car «rendre service», «être utile»
dans son activité professionnelle, «servir à quelque chose» donne souvent du
sens à son existence, apporte cette vraie fierté de celle qui élève et permet
de l’estime de soi.
Toujours est-il que du serveur de restaurant au médecin, en
passant par l’enseignant ou le journaliste, le service aux autres est en crise.
Pas de la même manière.
Pour l’emploi de serveur ou la profession de médecin et d’enseignant,
c’est une «crise des vocations».
Les restaurants ont du mal à trouver du personnel tout comme
les hôpitaux et les écoles en partie parce qu’il faut s’occuper des autres.
Dans d’autres cas, comme les journalistes, ce n’est pas une
crise des vocations mais la notion même du métier – ici, donner de
l’information aux autres – qui est contestée pour être remplacée par des sortes
de tribunes libres continuelles où l’information n’est plus qu’un moyen de se
mettre en avant et non une fin.
De nos jours être influenceur sur les réseaux sociaux où
l’on parle sans fin de soi, de sa vie, de ses choix, de sa vision du monde,
etc. est bien plus prisé comme activité et pas seulement parce que l’on peut
faire fortune.
Influenceur c’est pouvoir être dans l’égotisme total où
l’autre n’est qu’un faire-valoir qui vous fait gagner de l’argent tout en lui
délivrant sa bonne parole sur tout et n’importe quoi tout en se mettant en
scène dans des vidéos à son propre culte.
«Recruter» un influenceur est donc beaucoup plus facile que
de recruter un enseignant, un médecin, une infirmière, un policier ou un
pompier.
Faire de la politique de nos jours ne consiste plus souvent
à rendre service aux autres mais à se mettre en scène, à poursuivre un plan de
carrière et à briller dans les médias.
Dans cette dernière activité, créer le buzz est bien souvent
plus important que de participer concrètement à la direction du pays et à
régler les problèmes, ce qui amène à être dans le spectacle permanent avec une
volonté d’être glorifié et non dans une mission où prime la notion de devoir
envers la société, d’être à son service.
Rien ne permet de dire que l’on peut inverser cette tendance
parce qu’elle est la conséquence de l’évolution de nos sociétés modernes avec
la montée de l’autonomisation égocentrique des individus qui est de plus en
plus prégnante et qui s’accompagne d’un comportement irresponsable, irrespectueux
et d’une demande d’assistanat.
Et c’est l’objectif même de la démocratie républicaine
libérale qui est corrompu.
Car le projet démocratique est bien de permettre à l’individu
d’être de plus en plus autonome afin de prendre sa vie en charge mais tout en étant
responsable de ses choix et de les assumer tout en respectant la dignité de
l’autre mais aussi la communauté dans laquelle il vit.
Or cette autonomisation débridée et uniquement tournée vers
soi sans assumer les responsabilités et les devoirs qui vont avec envers l’autre
et sa communauté provoque des comportements où l’on considère que tout ce qui n’est
pas une déférence à soi des autres est un abaissement inacceptable de sa
personne.
Le bien vivre ensemble, voir le vivre ensemble tout court,
est donc menacé de se transformer en espace de continuelles revendications autocentrées
et dont la crise du service aux autres en est un des phénomènes les plus emblématiques.
Il est rare qu’un raciste défile tout seul dans une ville
avec banderole, mégaphone et autres ustensiles du parfait manifestant en
éructant des propos abjects.
Une foule, elle, le fait.
Ce n’est évidemment pas une découverte tant les phénomènes
de foule avec leurs comportements haineux et violents ont été documentés.
Les lynchages aux Etats-Unis au cours des deux derniers
siècles en sont parmi les exemples les plus répugnants.
Or donc pour déverser sa haine, sa rage, ses insultes et
inciter à la violence, il vaut mieux se réunir à la fois pour voir qu’on n’est
pas le seul à les partager et pour se donner du «courage» ou plutôt pour se
chauffer les uns les autres pour devenir des haineux et souvent passer au stade
supplémentaire de brutes belliqueuses protégées par ses congénères.
Mais il n’était pas toujours facile de se retrouver et de se
mobiliser dans l’«ancien temps» quand internet n’existait pas même si les
chasses aux sorcières sont souvent parties des places de village ou des
tavernes, voire des lieux culte...
Depuis une vingtaine d’années, les réseaux sociaux ont
permis ces rencontres et ces mobilisations.
Citons-en deux particulièrement emblématiques: le mouvement
du Tea party aux Etats-Unis en 2008 et celui des Gilets jaune en France en
2018.
Et il y en a qui ont compris tout l’intérêt d’utiliser ces
nouveaux moyens de communication: les populistes et les extrémistes.
Ainsi du Tea party récupéré par l’aile extrémiste du Parti
républicain et des Gilets jaunes récupérés par LFI et le RN.
Des populistes et des extrémistes qui ont compris également
que les médias, notamment audiovisuels et plus particulièrement les chaines
d’info en continue, seraient friands de cette soi-disant «colère du peuple» et
feraient les parfaits vecteurs de leurs mises en scène haineuses.
Pendant longtemps, les réseaux sociaux ont prétendu qu’ils
n’étaient que les messagers ou les entremetteurs mais qu’ils ne pouvaient être
tenus pour responsables de leur survenance.
Et pour prouver leur «innocence», ils acceptèrent de mettre
en place des services de modération et de fact-checking afin de neutraliser
tous les appels à la violence ou les insultes les plus abjectes.
Mais les masques viennent de tomber.
C’était déjà le cas avec Twitter devenu X dans les mains de
l’extrémiste libertarien Elon Musk.
C’est maintenant le cas avec Facebook et Instragram.
Et l’on ne parle même par de réseaux sociaux moins grand
public mais qui s’étaient fait une spécialité dans ce «laisser-faire» tel
Telegram ou Truth (le réseau social fondé par Trump).
On peut dire, dorénavant, que les réseaux sociaux qui
furent, au départ, considérés – avec une certaine naïveté pour certains et un
cynisme certain pour d’autres – comme des outils pour approfondir la démocratie
républicaine et vendus comme tels par leurs initiateurs et créateurs, sont
devenus des armes contre celle-ci.
Dès lors, on ne peut plus avoir ce regard bienveillant sur
leur existence et sur leur capacité à devenir de vrais vecteurs de la
démocratie républicaine sans un cadre réglementaire contraignant.
Il y a désormais une nécessité, surtout une urgence d’une
législation dans toutes les démocraties du monde et, en Europe, pour l’UE avec,
comme sanction ultime l’interdiction de ceux qui ne la respecteraient pas.
Croire et faire croire que ces outils sont neutres et
s’autorégulent est un mensonge qui déstabilise petit à petit la démocratie au
nom de la liberté qu’elle offre et que les réseaux sociaux n’hésitent pas à
transformer en licence et en arme contre cette même démocratie avec des
propriétaires qui, outre leur motivation à gagner le plus d’argent possible,
ont la fâcheuse tendance à se prendre pour les maître du monde et à vouloir
abuser du pouvoir qu’ils ont acquis pour diffuser leurs thèses nauséabondes.
Et l’on ne peut plus faire semblant de ne pas savoir alors
que la mascarade a pris fin avec le coming-out extrémiste de personnages comme
Musk ou Zuckerberg et que l’on connaît désormais avec précision l’utilisation
par la dictature chinoise des données de TikTok.