Ces dernières années, avec la montée de la démagogie, du
populisme, du basculement de l’information mise en scène («infotainment») devenue
un vulgaire divertissement informatif, de l’intrusion des réseaux sociaux et
autres moyens électroniques de communication, l’ensemble des discours publics est
dominé par les superlatifs, les effets de manche, la dramatisation – sans même
parler des mensonges véhiculés par les fake news et l’élucubrationisme
(complotisme) – où s’effacent petit à petit et de plus en plus la réalité et
les faits.
J’ai souvent écrit sur ce sujet et je dois dire que les
dérives s’accélèrent et qu’aucune prise de conscience ne se fait jour, bien au
contraire.
On en a encore vu des exemples lors des dernières campagnes
électorales dans l’ensemble des démocraties.
La campagne présidentielle aux États-Unis est archi-dominée
par ces phénomènes mais aussi la campagne législative en France.
Prenons un exemple.
Selon les médias, on a assisté à un «triomphe» du RN et au
«naufrage» de la majorité présidentielle avec la «fin de règne» du Président de
la république.
Sans évidemment contester que le RN a gagné le premier tour
en arrivant en tête, que la majorité présidentielle est troisième à quelques
encablures, tout le reste n’est que mensonges.
D’abord le triomphe du RN.
Si l’on prend son résultat dans les urnes, il a recueilli
moins de 30% des voix.
Certes c’est un succès éclatant mais pas un triomphe.
Surtout si l’on prend son score vis-à-vis des inscrits qui
descend alors à 19%, c’est-à-dire que moins d’un Français sur cinq inscrit sur
les listes électorales a choisi la formation d’extrême-droite.
Non, ce n’est pas ce que l’on peut appeler un triomphe
démocratique…
Cela n’enlève évidemment pas l’a nécessité impérieuse et le
devoir cardinal de tous les démocrates d’éviter qu’il ne remporte le deuxième
tour dimanche prochain.
Ensuite le naufrage de la majorité présidentielle.
Si l’on prend son résultat dans les urnes, elle a juste
dépassé les 20%.
Certes c’est un recul par rapport à 2022 mais comment
peut-on utiliser des mots aussi forts que «naufrage» et d’autres encore plus
extrêmes pour une coalition qui obtient plus de 20% des votants (et plus de 13%
des inscrits).
C’est évidemment une défaite mais pas la catastrophe à la
une de tous les médias.
Quant à la «fin de règne» d’Emmanuel Macron.
Comme celui-ci l’expliquait, il n’était pas sur les
bulletins de vote.
Certes, c’est sa majorité qui l’était et il l’a bien
évidemment défendue.
Mais il y a une Constitution et qui dit très explicitement
que le Président de la république même en cas de défaite de son camp aux
législatives demeure à son poste avec toutes les attributions que lui donne sa
fonction et qui sont importantes.
Rien de près ou de loin à une fin de règne.
Ajoutons cette opinion que l’on retrouve dans tous les
médias comme quoi sa stratégie de convoquer des législatives anticipées pour
effacer la défaite aux européennes aurait été un échec complet.
Or, ce n’était pas du tout le but d’Emmanuel Macron.
Certes, il aurait préféré que ce sursaut démocratique ait
lieu mais il n’est pas assez bête ou enfermé dans un univers à sa gloire –
dixit les médias – pour ne pas savoir que la dynamique de l’extrême-droite,
avec l’aide de l’extrême-gauche mélenchoniste, conduisait Marine Le Pen tout
droit à l’Elysée en 2027.
Pour éviter ce cataclysme, provoquer des législatives qui
vont peut-être obliger le RN à gouverner trois ans avant la prochaine
présidentielle – au grand dam de la petite entreprise le Pen – permettra,
espère-t-il, de montrer sa dangerosité et son incompétence aux Français qui,
enfin, se détourneront de lui et enterreront définitivement les ambitions
lepénistes.
On peut également prendre la campagne des élections
américaines avec le débat qui a opposé Joe Biden à Donald Trump.
Certes le centriste démocrate n’a pas été bon sur la forme
face à l’extrémiste populiste républicain.
En revanche, il l’a littéralement enfoncé sur le fond
d’autant que Trump a égrainé mensonges sur mensonges.
Considérer que Biden est fini, qu’il doit laisser la main à
un autre candidat, qu’il est un gâteux sans avenir comme l’ont titré nombre de
médias américains (qui militent depuis plusieurs années contre un deuxième
mandat de sa part) est une instrumentalisation des mots qui ne correspond en
rien à la réalité et aux réalisations du démocrate depuis près de quatre ans à
la Maison blanche.
Et l’on pourrait continuer pendant des lustres à parler de
cette falsification comme, par exemple, le terme «génocide» utilisé pour
qualifier l’offensive armée d’Israël contre le Hamas ou la volonté d’entretenir
la confusion en utilisant le mot «antisionisme» pour exprimer son antisémitisme
de manière cachée, tout cela juste 80 ans après la fin de la Deuxième guerre
mondiale et le génocide bien réel contre les Juifs où des petits enfants étaient
jetés vivants dans des fours crématoires pour augmenter les cadences simplement
parce qu’ils étaient juifs…
Les penseurs chinois, dans l’ancien temps, estimaient qu’il
fallait que les mots soient utilisés à bon escient et s’attelaient souvent à
cette tâche de la «rectification» de ceux-ci afin d’éviter qu’ils soient
instrumentalisés notamment par le pouvoir impérial et pour tromper le peuple.
Albert Camus, également, estimait important de ne pas
dévoyer la signification des mots dans une démocratie au risque de lui porter
atteinte gravement, de la faire disparaître à terme.
Manifestement, la leçon n’est guère été apprise et, pire,
c’est exactement le contraire que nous sommes en train de vivre.
Alexandre Vatimbella